Les critiques en séances accompagnées, en soutien à la petite et moyenne exploitation

Entretien avec Adrien Soustre (département diffusion de l'ADRC)

Les séances accompagnées, lancées en 2021 par l'Agence nationale pour le développement du cinéma en région, au sortir du confinement, se pérennisent. Des critiques participent à ce dispositif d'animation des salles art et essai. Adrien Soustre, du Département Diffusion de l'ADRC, revient sur le succès de cet outil.

Vers quelles salles sont fléchées les séances accompagnées ?

Elles sont uniquement destinées aux salles art et essai, en majorité issues de la petite et de la moyenne exploitation. La moyenne exploitation, ce sont les salles qui enregistrent moins de 250 000 entrées par an. La petite exploitation, ce sont les salles dont la fréquentation est inférieure à 50 000 entrées. La majorité des salles avec lesquelles l'ADRC travaille réalisent entre 20 et 100 000 entrées.

Cet outil participe d'une forme d'aménagement du territoire culturel cinématographique ?

Nous intervenons sur tout le territoire, mais notre action bénéficie essentiellement à des cinémas de proximité et des cinémas ruraux, à qui l'on propose un accompagnement avec un intervenant, avec un choix parmi quatre films dans le mois. Dès qu'une salle nous contacte, nous essayons d'identifier plusieurs salles à proximité, pour organiser une sorte de petite tournée en région. Cela évite un déplacement pour une seule séance et rend l'aventure plus agréable pour les intervenants qui viennent de loin. On essaie toujours de prévoir plusieurs dates d'intervention. 

Sur quels critères repose la sélection des œuvres accompagnées ? S'agit-il de soutenir à travers le dispositif le cinéma d'auteur indépendant ?

On essaie de soutenir les films les plus fragiles et les films de la diversité. En même temps, il faut choisir les œuvres qui se prêtent le plus à cet exercice d'accompagnement dans les films que nous sélectionnons, parmi ceux soutenus par l’ACID, l’AFCAE, le GNCR. Il arrive qu'il n'y ait qu'un seul film par semaine qui réponde à cette exigence. Il ne faut pas nécessairement qu'il soit commun aux trois associations, d'ailleurs, mais qu'il soit soutenu par l'une ou l'autre. Si jamais il y a plusieurs films inédits qui, la même semaine, répondent aux critères, un comité composé de distributeurs et d'exploitants affine alors pour dégager le choix le plus pertinent.

Quel est l'apport de la critique de cinéma ? 

Nous travaillons avec une trentaine de critiques de cinéma, mais pas exclusivement, puisque nous collaborons également avec des universitaires, dont les interventions se rapprochent davantage de la ciné-conférence. Les interventions peuvent prendre différentes formes. Parfois, cela se présente comme une discussion à bâtons rompus, très ouverte. On demande aux intervenants d'être assez souples pour s'adapter à la demande de l'exploitant, qui connaît son public et assure éventuellement la médiation. Les séances, accompagnées durent généralement une heure au maximum. Notre apport, quel que soit le film, privilégie une approche cinématographique. Les séances accompagnées ressemblent parfois à des ateliers d'analyse filmique, avec décryptage de scènes, de séquences, d'images. Elles plaisent beaucoup. 

De quelle manière est prise en compte la spécificité de chaque public ?

Dans la mesure du possible, on essaie de concilier à la fois l'approche proposée par l'intervenant aux demandes et habitudes de la salle de l'exploitant, dans un souci de cohérence avec ce qu'il propose habituellement. Certains intervenants sont plus ou moins à l'aise avec l’idée d’avoir des échanges avec la salle. Certains préfèrent une présentation de type conférence. C'est donc un exercice qui peut vraiment prendre plusieurs formes, et nous n'interdisons rien à l'exploitant ou à l'intervenant : on ne les cadre pas. Chacun est libre de trouver la forme la plus agréable et la plus adaptée. 

Est-ce que ces séances accompagnées font venir un public déjà captif ou est-ce qu'on arrive à attirer des spectateurs occasionnels par un effet de curiosité ou d'événement ?

Des salles voient arriver des personnes inconnues, ou qu'elles voient rarement. La présence d'un intervenant, même sur un film art et essai, fait venir un public qui n'est pas captif. Par exemple des jeunes sur Joyland. C'est une vraie plus-value pour la salle et les films. Les intervenants rencontrent des publics divers et constatent que la cinéphilie existe partout et que les échanges sont parfois très riches, dans des cinémas ruraux, ou itinérants, y compris avec des films difficiles. 

La dynamique des séances accompagnées sur la programmation est bien comprise par les exploitants ?

Les salles de la petite exploitation ont parfois des appréhensions à l'idée de recevoir un intervenant, de peur que le principe de la séance accompagnée ne fonctionne pas. Il arrive qu'il n'y ait qu'une dizaine de personnes dans une salle, ou parfois, au contraire, une très bonne fréquentation. Un public clairsemé peut tout aussi bien être satisfait. Même si la salle n'est pas pleine, les intervenants trouvent toujours de la qualité aux échanges. Les salles qui nous sollicitent le plus sont en général les salles art et essai qui font déjà un important travail à l'année, avec des ressources locales. Avec l'ADRC, elles ont une ressource différente, quelqu'un qui vient de plus loin et dont elles ne pourraient pas assumer seule les frais de la venue. 

Est-ce que vous avez constaté, avec la sortie de crise, une plus forte demande des exploitants de salles pour animer leurs cinémas ?

Les salles nous sollicitent de plus en plus et on a donc limité le nombre de séances accompagnées à trois par an, pour l'instant, de manière à ce que le dispositif tourne. Nous avons beaucoup d'adhérents mais un budget limité. Selon les avancées budgétaires, on pourra revoir les limitations, mais pour l'instant il s'agit de servir à toutes les salles. 

Le dispositif peut-il être élargi à l'ensemble des exploitants ? Ou même simplement aller au-delà de la limite de trois séances accompagnées par an et par salle ?

Cela n'est pas envisagé, parce qu'il ne s'agit pas de suppléer totalement au travail de l'exploitant, qui doit aussi trouver les ressources et moyens d'animer son cinéma. On ne peut pas fournir en permanence des séances clés en main. La limitation à trois séances accompagnées par an, pour l'instant, c'est bien, cela permet de faire tourner le dispositif et de servir le plus de salles possibles. 


Comment s'inscrivent les séances accompagnées dans l'action plus générale de l'ADRC ? 

L'Agence nationale pour le développement du cinéma en région est une association qui fête ses 40 ans. Notre mission, au-delà de cet accompagnement, est d'aider les cinémas à se programmer, à programmer des films de patrimoine. Nous avons aussi un volet sur l'architecture, la rénovation, la mise en conformité, la création, les extensions. En priorité nous agissons en direction de la petite et moyenne exploitation. Les séances accompagnées, lancées en sortie de crise Covid, étaient une manière de permettre aux salles de créer davantage d'événements à moindre frais, dans des salles qui parfois ne fonctionnent qu'avec des bénévoles et ont des fonds propres très faibles. Il s'agit de leur permettre d'animer les salles sans engager de frais importants et de leur fournir les bons intervenants sur les films. On leur propose quelqu'un qui a déjà vu le film et est prêt à travailler. 

Est-ce que vous travaillez en lien avec la Fédération nationale des cinémas de France ?

Non, nous travaillons directement avec les salles et avec les associations régionales de salles art et essai qui organisent et coordonnent des animations. On identifie avec elles des salles qui pourraient bénéficier de séances accompagnées. Ces associations agissent comme des relais locaux pour que les salles accèdent au dispositif. Souvent, les petites salles pensent que ce n'est pas pour elles, qu'elles n'ont pas la bonne taille et que ça ne marchera pas. Mais au contraire. Même dans les plus petites salles de cinéma, les spectateurs apprécient qu'un critique vienne leur parler de cinéma. 

Propos recueillis par Nathalie Chifflet  

Nathalie Chifflet  

Le Dispositif

L’ADRC propose, à des conditions économiquement aménagées, un accompagnement autour de certains films inédits. Une séance accompagnée peut prendre la forme d’une conférence de 30 à 45 minutes avant la projection du film ou d’une présentation suivie d’un débat après la diffusion. L’intervenant peut être proposé par le distributeur du film, une association territoriale ou directement par l’ADRC. L’ADRC prend en charge les frais de transport de l’intervenant ainsi que ceux de l’intervention et veille à une répartition équilibrée sur le territoire des séances accompagnées. Un Comité Technique Professionnel (CTP), composé de membres du CA de l’ADRC, choisit les films deux mois avant leur sortie. Ce travail de sélection s’effectue en veillant à une représentation des différents genres cinématographiques et d’une diversité de distributeurs qui doivent nécessairement être adhérents à l’ADRC. Le film est choisi en tenant compte du travail de soutien et d’accompagnement mené par l’ACID, l’AFCAE, le GNCR, ainsi que du soutien du CNC dans le cadre d’une aide sélective.