Éducation au cinéma : le bateau va-t-il couler ?

Une décision du nouveau ministre de l’Éducation Nationale met en péril le dispositif de l’éducation au cinéma dans les lycées et collèges, dispositif dont les critiques sont partie prenante.

L’éducation au cinéma dans le cadre scolaire existe depuis plus de quarante ans en France, mais elle ne concerne toujours qu’une minorité d’élèves : 0,7% des bacheliers passent l’option cinéma-audiovisuel au Bac, 12% des élèves de la maternelle à la terminale découvrent des films en salle en cours d’année dans le cadre du dispositif géré par L’Archipel des Lucioles (lire encadré). Tout repose sur la bonne volonté des enseignants qui inscrivent leur classe et se forment pour mieux accompagner leurs élèves.

Les journalistes critiques sont partie prenante de cette démarche, allant à la rencontre des élèves et de leurs professeurs, comme en témoigne Isabelle Dumas, professeure de Lettres dans l’Académie de Lyon (lire interview) et Alexandre Boza, professeur d’Histoire Géographie et responsable d’une option cinéma au Lycée Paul Valery à Paris. « Le métier de critique n’est pas toujours repérable en tant que tel par les élèves, car ceux que rencontrent les élèves ont plusieurs casquettes : critiques, mais aussi écrivains, professeurs de cinéma. D’ailleurs, au lycée en option cinéma, les élèves veulent surtout réaliser des films. Nous rencontrons surtout les critiques dans les projections publiques dans les salles de cinéma et les festivals. Mais surtout dans le cadre du dispositif national « Collégiens lycéens et apprentis au cinéma » : les livrets qui accompagnent les films sont rédigés par des critiques, qui parfois présentent certains films en salle ou interviennent en classe après le film. Ce sont des modules courts de sensibilisation et non de création. De plus, la critique comme exercice d’écriture et de réflexion est souvent utilisée par certains professeurs de Lettres au collège et au lycée, ou en cinéma comme exercice d’analyse. » 

Mais l’actualité de la rentrée scolaire 2024 met en péril cet équilibre et dévoile sa fragilité.

Petite explication préliminaire : chaque année les enseignants inscrits aux dispositifs d’éducation au cinéma ou responsables d'une option cinéma peuvent bénéficier de stages de 2 à 4 jours de formation. Ces formations sont organisées autour de projections de films accompagnées par des interventions de critiques professionnels. Elles ont lieu dans toute la France en octobre et novembre, avec le CNC et les conseils départementaux et régionaux qui participent aussi à leur financement. Or le nouveau ministre de l’éducation Gabriel Attal a imposé « qu’à la rentrée 2024, plus aucun élève ne soit privé de son professeur en raison d’une formation ou d’une contrainte administrative. » Une directive exige que la moitié des formations continues des professeurs se tiennent hors temps scolaire d’ici à juin 2024, et la totalité à partir de septembre 2024. La formation des professeurs au cinéma sera donc la première à en pâtir. « Le nombre d'inscriptions des professeurs aux formations de la rentrée 2023 s'est déjà effondré alerte Alexandre Boza. Et si l’Éducation Nationale veut les remplacer par des conférences à distance, ça changera tout. On a vu ce que ça donnait pendant le Covid. Pour le cinéma, cela concerne des groupes de 200 à 250 professeurs qui peuvent échanger et se rencontrer à cette occasion. »

La mobilisation des professionnels contre cette situation a débuté dès l’annonce de Gabriel Attal. Après les alertes de l’ACID, du GNCR (cinémas de recherche), le sujet a été largement débattu au cours du congrès des exploitants, puis aux Rencontres de l'ARP au Touquet. Les enseignants en région sont mobilisés et une rencontre entre les différents coordinateurs des dispositifs s’est tenue au CNC fin novembre. L’association L’Archipel des Lucioles, qui coordonne les dispositifs d’éducation au cinéma sur la France entière, a lancé une Tribune en ligne (à lire et signer ici) qui sera adressée aux ministres de la Culture et de l’Éducation nationale. D’ores et déjà les inscriptions en formation cinéma des enseignants de collèges et lycées pour 2024 fondent comme peau de chagrin, particulièrement en Normandie et en Bretagne, régions où certains recteurs ont mis en place dès cette année l’obligation des formations hors temps scolaire.Le bateau de l’éducation au cinéma prend l’eau, évitons qu’il ne coule !

Valérie Ganne

Valérie Ganne



Encore trop peu d’élèves touchés par l’éducation au cinéma

Moins de 0,7 % : c’est le pourcentage de lycéens passant l’option cinéma-audiovisuel au Baccalauréat (3619 bacheliers sur plus de 520 000 en 2023). A titre de comparaison, ils étaient 10 000 bacheliers en arts plastiques. L’enseignement du cinéma dans le secondaire, qui existe pourtant depuis quarante ans, reste donc destiné à une minorité d’élèves. Dans les années 90, le CNC et l’Éducation Nationale ont initié une politique plus large. Écoliers, collégiens, lycéens et apprentis sont accompagnés par leurs professeurs à découvrir des films en salle de cinéma (trois minimum par an). Les plus dynamiques et motivés feront suivre cette sortie d’un débat avec leurs élèves, accompagnés par un livret sur le film et de rencontres avec des professionnels. Ce dispositif géré par l’association l’Archipel des Lucioles (ex Passeurs d’Images) concerne chaque année environ 1,5 million d’élèves sur 12 millions en France. C’est mieux mais ça reste très peu : 12%. L’éducation au cinéma est donc le parent pauvre de l’Éducation Nationale, qui se replie sur l’enseignement des matières dites fondamentales.