L’Animation passée en revue

Entretien avec Jacques Kermabon, rédacteur en chef de Blink Blank

Le premier numéro de Blink Blank a vu le jour en janvier 2020, à l’initiative de Xavier Kawa-Topor, le délégué général de la NEF Animation [association dédiée à la recherche et à la création dans le domaine du film d’animation], et avec le soutien de la Cinémathèque québecoise qui co-édite la revue avec l’éditeur français Warm.

Depuis, cette revue nommée d’après un film de Norman McLaren et consacrée au cinéma d’animation, paraît deux fois par an et sillonne, tout au long de ses 160 pages, le paysage formé par les longs et courts métrages animés, ainsi que par les séries. Il dessine ainsi un panorama éclectique et foisonnant de ce mode d’expression qui se décline aussi bien en fiction qu’en documentaire ou en cinéma expérimental, et fait le grand écart entre les blockbusters sortis des studios et l’autoproduction la plus indépendante.

Son rédacteur en chef Jacques Kermabon revient sur les premières années d’une aventure qui a confirmé le besoin ressenti par le monde de l’animation d’avoir “sa” revue, et mis au jour les difficultés toujours prégnantes à convaincre un public moins connaisseur ou habitué.

Blink Blank existe maintenant depuis plus de trois ans. À quel désir répond-elle ?

L’envie était d’avoir une revue qui puisse être une vitrine du cinéma d’animation dans sa globalité. Nous voulions parler de l’actualité, tout en sachant qu’en étant un semestriel, notre réactivité serait limitée. Et effectivement, cela nous oblige à avoir un regard et une approche parfois différents de celui d’un critique qui traite d’un film au moment de sa sortie, parce que nous parlons de films qui ne sont pas encore finis ou de longs métrages découverts en festival et qui n’auront peut-être jamais de diffusion dans les salles françaises… Nous tenions également à ne pas hiérarchiser et donc à parler aussi de courts métrages et de séries. Évidemment, il y en a tant que l’on ne peut pas être exhaustif, mais cela nous paraissait important de nous faire l’écho du fait que l’animation essaime dans tous les formats.

Il y avait également l’envie de combattre les idées reçues sur le cinéma d’animation…

Disons qu’il y avait le désir de contribuer à notre façon à ce mouvement qui, à l’image de ce qui s’était passé auparavant pour la bande-dessinée, combat le cliché d’un cinéma d’animation qui serait réservé aux enfants. Lorsque j’ai commencé à parler de la revue à des amis cinéphiles de ma génération, je me suis aperçu que, malgré Miyazaki, malgré tout ce qui sort en animation d’auteur, pour eux, même sous couvert de la plaisanterie, il s’agissait toujours des “Mickey”. Je me suis dit qu’il y avait encore du chemin à parcourir ! Les œuvres sur lesquelles on s’attarde le plus, ce sont donc plutôt celles à destination des adultes et des adolescents. On laisse un peu de côté les séries pour enfants. Pas par ostracisme, mais par souci justement de mettre en avant le fait que le cinéma d’animation ne s’adresse pas systématiquement aux petits.

Quels sont les retours et quel lectorat avez-vous réussi à toucher ?

Les retours sont plutôt positifs. Nous espérons que cela se concrétise en nombre d’abonnés, mais pour le moment, cela semble avoir pris. Au départ, nous ne tenions pas à nous adresser au monde de l’animation en particulier. Nous voulions faire en sorte que des gens qui aiment le cinéma et qui sont curieux découvrent le cinéma d’animation d’une autre façon. Qu’ils mesurent l’étendue de ce mode d’expression. Force est de constater que de ce côté-là, ce n’est pas complètement gagné. Il y a beaucoup d'œillères, plein de freins. A contrario, le monde de l’animation s’est vraiment retrouvé dans la revue et constitue le plus gros de notre lectorat. Nous essayons malgré tout de proposer des éléments d’ouverture, de vulgarisation, par exemple en explicitant les termes techniques quand on ne peut pas les éviter. Par ailleurs, nous ne voulions pas non plus que ce soit uniquement ceux qui écrivent habituellement sur l’animation qui participent. Il y avait l’idée d’ouvrir à d’autres personnes. D’où la rubrique “Voix-off” ouverte à des gens dont l’animation n’est pas du tout la spécialité, mais qui ont un regard sur ce mode d’expression. Je pense qu’on a une marge de progression, mais les choses évoluent.

Il n’est pas anodin de lancer une revue papier aujourd’hui. Avez-vous hésité sur ce point ?

Non, nous n’avons jamais eu de doute sur cette question-là. Pour nous, c’était évident que ce serait une revue papier, parce que nous aimons ça, et que nous croyons que c’est encore ce qui reste de plus satisfaisant. Après, il y a aussi des raisons économiques : à partir du moment où on est une revue papier, on a certes des coûts, mais aussi la possibilité d’avoir des annonceurs, des aides, et ainsi de pouvoir payer les rédacteurs. De ce point de vue-là, une revue en ligne est plus aléatoire… Nous avions aussi envie d’avoir un bel objet illustré, proche du mook.

Comment voyez-vous la place de l’animation dans les revues plus généralistes ?

J’ai l’impression que l’animation est présente dans les grandes revues de cinéma généralistes et dans les quotidiens. C’est toujours une question de quantité : il y a tellement de films qui sortent, l’animation ne peut pas toujours être à la Une. Mais c’est vrai que dans les jurys, dans les comités de sélection, l’animation reste souvent ce qui passe en dernier. C’est toujours pris comme quelque chose qui est “à part”, et donc non prioritaire. Après, il faut bien comprendre que pendant longtemps, la production de longs métrages a été très sporadique, alors qu’elle est aujourd’hui en pleine effervescence. Cela contribue à faire évoluer les regards.

Le rapport de la critique à l'animation est parfois compliqué… On observe régulièrement une tentation de la traiter différemment du cinéma en prise de vues continue, avec presque un complexe d’infériorité de la part de certains critiques qui ont l’impression “de ne pas savoir faire”...

Quand j’étais à Bref, je ne voulais pas que ce soit toujours le spécialiste de l’animation qui écrive sur les films d’animation. Je faisais donc appel à d’autres critiques, et effectivement, parfois on me répondait “je n’y connais rien en animation, je ne connais pas les techniques”. Évidemment, ce n’est pas la question ! On est face à une œuvre et on réagit face à ce qu’on ressent et ce que le film éveille en nous. Comme si on ne parlait que de technique face à un film en prise de vues réelles ! Il y a toujours cette appréhension de ne pas être habilité, de ne pas savoir.

Qu’est-ce que la critique peut apporter à l’animation ?

Le même regard que sur les autres films. Je ne pense pas que la critique ait un rôle déterminant d’emblée. J’ai longtemps fait un cours d’écriture critique à Paris 1, et le premier texte que je donnais c’est celui de Bazin dans lequel il dit au début que l’impact de la critique, c’est comme de “cracher dans l’eau du haut d’un pont”...

Cela peut tout de même être un formidable outil pour se familiariser avec l’animation, justement !

Quelqu’un qui tombe sur Blink Blank peut avoir effectivement une idée de l’ampleur du secteur. Ça peut lui donner envie d’aller plus loin et de découvrir des choses. Par contre, on sait que la critique ne fait pas le succès d’un film. Or c’est une question centrale pour le long métrage d’animation pour adultes. Quand on voit qu’un film magnifique comme La Traversée de Florence Miailhe peine à trouver son public… Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres ! On sent bien qu’une des difficultés vient plutôt de la distribution. Comme si les distributeurs n’avaient pas encore trouvé la manière de donner à ces films la visibilité qu’ils méritent.

Propos recueillis par Marie-Pauline Mollaret

Marie-Pauline