Rendez-vous en terre inconnue :
La critique de cinéma sur YouTube

Le youtubeur critique de cinéma est un homme blanc de 25 ans dont la culture cinématographique ne remonte pas au-delà des années 80, et dont 70 % des vidéos font l’exégèse du Marvel Cinematic Universe, les 30 autres étant consacrés à réagir aux bandes-annonces des prochains blockbusters.

Nous sommes sans doute encore nombreuses et nombreux à ne pas nécessairement prendre le temps d’interroger ce cliché. Certes, en jetant un œil rapide, cliquant sur ce que met en avant l’algorithme, on tombera vraisemblablement sur des propositions pas totalement éloignées de cette représentation sommaire. Bien sûr, ici comme ailleurs, on est en quête de public. Ils et elles veulent être vus, comme nous voulons être lus, c’est bien normal. Pour les vidéastes dont cette activité représente tout ou partie des revenus, il va sans dire que le nombre de clics n’est pas neutre. En découle, pour certains, une recherche d’efficacité, qui va du choix du sujet abordé à la vignette de présentation (image d’appel apparaissant sur YouTube et sur laquelle on clique ou non) en passant par la forme de la vidéo (intervention face caméra ? in extenso ou montée ? effets visuels ? voix off sur un montage d’extraits de films ?). Par ailleurs, on peut avancer sans trop risquer le syndrome du vieux con que YouTube et les réseaux sociaux en général tendent à favoriser la visibilité des propos virulents, péremptoires voire carrément agressifs, au détriment des propos plus réfléchis et nuancés. Plusieurs vidéastes ont évoqué sur leurs chaînes cette pente dangereuse de la “réaction à chaud” peu construite au sujet de tel film très attendu, ou de la vidéo facile et un peu creuse où l’on réagit au trailer du prochain Star Wars. Tout cela existe bien entendu, surjouant parfois jusqu’à l’absurde (vidéos de commentaires de vidéos de réaction, vidéos de commentaires de commentaires de…) la course au lecteur, à l’auditeur ou au téléspectateur que nous connaissons toutes et tous par ailleurs. Cependant, comment croire que dans la profusion de chaînes YouTube dédiées au cinéma, qu’on y parle des films qui sortent, de classiques ou de cinématographies interlopes pour aficionados, il n’y aurait rien d’intéressant, rien d’audacieux, rien de pertinent ? La critique de cinéma, dont on reconnaît sans peine qu’elle existe à la radio (du Masque et la plume à La Dispute, en passant par Microfilms de Serge Daney) ou à la télévision (Le Cercle), serait-elle étrangement absente de la vaste production française de vidéos sur YouTube ? N’écoutant que mon courage, j’ai plongé pour vous dans cet océan de contenus et tâché de vous en rapporter quelques trouvailles, saisies à la volée, au plaisir, sans autre idée que de voir un peu ce qui se mijote de stimulant, et pourquoi pas d’enthousiasmant, dans cette région-ci de la cinéphilie.

Critique politique, critique ludique !

Connaissez-vous la “porno-misère” ? Les cinéastes colombiens Luis Ospina et Carlos Mayolo définirent, pour mieux le dénoncer, ce genre cinématographique aux prétentions documentaires apparu en Colombie au début des années 1970. Dans un manifeste, ils décrivirent la dérive d’un certain cinéma indépendant où « la misère était présentée comme un spectacle de plus, où le spectateur pouvait laver sa mauvaise conscience, s’émouvoir et se rassurer. » Ce texte accompagnait la sortie de leur film Agarrando Pueblo (Les Vampires de la misère, 1978), faux making-of montrant une équipe de tournage captant avec cynisme des images choc et fabriquées des habitants de Cali vivant dans la précarité. « Nous voulions montrer au public l’exploitation que l’on trouve dans ce cinéma misérabiliste, capable de faire de l’être humain un objet, quelque chose d’étranger à sa propre condition. » 
Ces cinéastes faisaient alors partie du “groupe de Cali”, qui donna ensuite naissance, dans les années 1980, à un étonnant sous-genre du cinéma d’horreur : le gothique tropical. Pour ma part, je n’avais jamais entendu parler de tout cela avant de tomber sur la chaîne Videodrome, de la vidéaste Sam Cockeye. Dans ses vidéos consacrées à la porno-misère et au gothique tropical, comme dans son travail en général, l’autrice procède à un habile montage d’extraits de différentes natures : extraits de films (mettant parfois en regard des plans issus d’œuvres différentes), de reportages télé, ou encore d’entretiens qui lui ont été accordés. Elle encadre ces images de collages et d’animations en stop motion (utilisant des lettres découpées, de la pâte à modeler, divers éléments végétaux…). Ce travail formel, élégant et sophistiqué, est à la hauteur du contenu des vidéos. Le texte, dit en voix off, est documenté, étayé, et accessible à tous. Sur sa chaîne, Sam Cockeye aborde des thèmes aussi divers que le travail du sexe au cinéma, les mères dans les films d’horreur ou encore les documentaires sur le travail, dans une démarche singulière à la confluence de l’histoire du cinéma, des sciences sociales et de l’esthétique. En creux, bien entendu, c’est un goût qui s’exprime, et ces réflexions mises en images sur tel ou tel sujet sont autant d’invites à se plonger dans les films évoqués.

À quelques clics de là, la chaîne Cinéma et politique développe une démarche voisine et tout aussi stimulante, en s’intéressant aux films et aux genres cinématographiques par le prisme des idéologies qui les travaillent. Analysant et contextualisant les films abordés, la vidéaste Clémentine problématise avec finesse et pertinence le manifeste et le latent d’un scénario, d’un dialogue, d’une mise en scène. Qu’elle se penche sur la production d’une icône conservatrice à l’œuvre dans L’Inspecteur Harry et ses suites, ou sur l’ambivalence idéologique de Spartacus, il ne s’agit jamais de donner des bons et mauvais points mais de mettre en lumière l’une des dimensions du film, sans prétendre en épuiser la substance. Cinéma et politique revient également sur le parcours de films méconnus, tel Octobre à Paris de Jacques Panijel, documentaire longtemps censuré traitant du massacre du 17 octobre 1961 perpétré par la police française lors d’une manifestation d’Algériens à Paris, dont plusieurs dizaines furent tabassés à mort ou noyés, hommes, femmes ou enfants. Mêlant témoignages, reconstitutions et photos, le film de Panijel tentait de rendre visible une répression criminelle que l’Etat français voulait dissimuler. En s’intéressant à un tel film, ou encore à La Voix de son maître de Gérard Mordillat et Nicolas Philibert, consacré au discours patronal dans les années 70, la vidéaste interroge autant le contexte historique et social que les conditions de production et de diffusion (voire de censure) de telles œuvres. Et donne, ce faisant, furieusement envie de voir ces films. Clémentine intervient face caméra au début de ses vidéos, puis laisse la place aux extraits, aux archives, qu’elle retravaille en utilisant différents effets d’infographie, aux collages, aux photographies… Comme pour Vidéodrome, le raffinement de la forme est au diapason de la rigueur du propos. On ne s’étonne d’ailleurs pas que les deux vidéastes co-signent une brillante série de vidéos intitulée “Cinq films sur le travail” dans laquelle elles abordent La Classe ouvrière va au Paradis d'Elio Petri ou encore Le Sel de la terre de Herbert Biberman.

Le bon vieux ciné-club

Non loin de cette approche marquée par les sciences sociales, attardons-nous maintenant sur celle, plus généraliste, du Ciné-club de M. Bobine. Sur cette chaîne, Julien Pavageau (son créateur), accompagné d’Aurélien Noyer, Yoan Orszulik et d’autres encore, proposent des critiques et analyses fouillées de films récents comme de films “de patrimoine”. Présentées avec vivacité par un personnage animé en forme de bobine de film assis sur un fauteuil de cinéma, ces émissions font le tour d’une œuvre ou d’une filmographie, de nombreux extraits à l’appui, en insistant sur la cohérence des enjeux du scénario et de la mise en scène. L’émission consacrée à City of Life and Death de Lu chuan est à cet égard éloquente : analysant la façon dont le metteur en scène chinois raconte le massacre de Nankin et revenant sur la difficile genèse du film, les auteurs explicitent les enjeux politiques d’un tel projet (déni d’une partie de l’élite japonaise d’un côté, roman national chinois de l’autre) et montrent comment le cinéaste parvient à s’en libérer par des choix esthétiques et narratifs venant apporter un regard neuf et complexe sur ce fait historique majeur. Qu’ils décortiquent Le Voyeur de Michael Powell ou le cinéma d’Elio Petri, les auteurs du Ciné-club de M. Bobine offrent d’un ton alerte de pertinentes portes d’entrée vers ces œuvres, dans la lignée - toutes proportions gardées - de l’héritage de Claude-Jean Philippe ou Jean Douchet.

Vers l’analyse et au-delà !

S’intéressant encore plus précisément à la forme filmique, Loïc Adrien, auteur de la chaîne Versus, fait d’astucieux montages comparant deux films (ou deux séquences issues de ces films) pour en souligner les points communs : La Chevauchée Fantastique VS Mad Max Fury Road, Ben Hur VS La Menace Fantôme ou encore Les Oiseaux vs Les Dents de la mer. Ces rapprochements, parfois vertigineux, nous plongent dans le dialogue sans fin auquel se livrent les films par-delà les époques. Versus dédie également certaines vidéos à l’analyse de gestes précis de cinéastes révélant leur conception de la mise en scène et leur savoir-faire, décomposant notamment la façon dont Demy chorégraphie un dialogue dans Lola, s’attardant sur la montée de l’angoisse dans Le Boucher de Chabrol ou remontant carrément de différentes manières une scène du Piège de crystal de John McTiernan.

Décryptant lui aussi les choix de cinéastes et leurs conséquences dans un plan, une scène ou un film entier, Alphonse Gausslin, auteur de la chaîne Alphi, peut s’attarder aussi bien sur le cadre et les mouvements de caméra dans Shutter Island de Scorsese, sur le parallèle riche de sens entre deux scènes d’Irréversible de Gaspard Noé, ou sur la construction des personnages dans Reservoir dogs de Tarantino. Formellement très sobres, ses vidéos allient un habile montage d’extraits à une voix-off qui va à l’essentiel et invite à voir ou revoir ces films en mettant en évidence ce qui fait la “patte” de leurs auteurs.

Terminons ce petit survol des chaînes dédiées à l’analyse filmique avec une excellente adresse : la chaîne Demoiselles d’horreur. La vidéaste Judith Beauvallet y développe un regard hardi et documenté sur de grands films d’horreur par le biais de leur personnage féminin principal. S’attardant sur le traitement de Ripley par la mise en scène de Ridley Scott dans Alien, l’autrice tire des fils à partir des signes qui parcourent le film (éléments porteurs de sens tels que la lumière et l’obscurité, un objet, une matière, un rapport de couleurs, une forme symbolique…), les nouant dans une interprétation pénétrante de l’œuvre. Les parallèles étonnants que la vidéaste fait entre le parcours de l’héroïne incarnée par Sigourney Weaver et le mythe de Prométhée autorisent une lecture nouvelle, enrichie du classique que l’on croyait connaître. De même pour la vidéo s’attachant aux choix de réalisation du Silence des agneaux et, là encore, aux mille et un signes que l’on peut y percevoir. À la lumière de la théorie de l’évolution de Darwin, Judith Beauvallet interprète avec acuité le cadre, les angles de prise de vue, la représentation de l’espace et les nombreuses références visuelles au monde animal présentes à l’écran, et nous propose une véritable exégèse allégorique du film de Jonathan Demme, ouvrant de nouvelles pistes au sein de l’œuvre et renouvelant notre plaisir de spectateur. Demoiselles d’horreur, en abordant les films d’horreur via leurs héroïnes, ne se contente pas d’un regard sociologique sur les rapports de genre au cinéma. Si cette dimension est bien présente, elle s’inscrit dans une compréhension bien plus large des films, tissant un réseau de significations entre scénario, mise en scène et symboles, au service d’une lecture enrichie, complexifiée et souvent jubilatoire de ces classiques de l’épouvante.

On n’est pas bien avec le cinoche français ? À la fraîche…

D’autres chaînes se consacrent au cinéma via des thématiques d’ensemble, comme la chaîne Calmos de David Honnorat et Hugo Alexandre, spécialisée dans le cinéma français, qui aborde notamment La comédie française face aux clichés homophobes en questionnant intelligemment le sous-texte à l’œuvre dans le traitement de personnages homosexuels ou supposés tels dans des films comme La Cage aux folles de Molinaro, Le Derrière de Valérie Lemercier, ainsi que dans nombre de films aujourd’hui oubliés. Le propos est étayé et évite les jugements péremptoires sans faire preuve de complaisance pour autant. La vidéo intitulée La Place des femmes dans les comédies françaises problématise son sujet à partir de Victoria de Justine Triet, et remonte jusqu’à La Fée aux choux d’Alice Guy pour scruter la place des personnages féminins au cinéma jusqu’à aujourd’hui – avec une attention particulière aux films réalisés par des femmes - en évoquant au passage aussi bien Truffaut que Varda, les films de Josiane Balasko ou Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal. On passe de très bons moments devant ces vidéos alliant histoire du cinéma et réflexion, réalisées avec soin et mettant souvent l’accent sur des films à redécouvrir.

Reportage au ras du photogramme

Dans un registre différent, on fera avec profit un détour par La Manie du cinéma, chaîne dédiée à une cinéphilie tous azimuts menée par Mélanie Toubeau. Outre des vidéos consacrées à de nombreux films estampillés pop culture ou à certains cinéastes, la vidéaste propose également des entretiens et des reportages fort intéressants. L’un d’eux, intitulé Opération Méliès suit le parcours de restauration d’une bobine retrouvée d’un film de Méliès, de sa remise en état mécanique à sa restauration numérique, la youtubeuse s’entretenant avec les différents intervenant-e-s et filmant leur travail. Elle échange avec elles et eux sur la dimension éthique de leur métier : jusqu’où aller dans l’“amélioration” de l’image ? À partir de quand la restauration devient modification, altération ? Questions passionnantes s’il en est, et qu’on peut se réjouir de voir traitées aussi concrètement avec les intéressés. La Manie du cinéma s’intéresse par ailleurs à d’autres questions toutes aussi concrètes telles que le prix du billet, la typologie des spectateurs, le lancement d’un film, l’avenir des salles… Une ligne éditoriale qui fait penser à celle d’un magazine, avec ses rubriques et ses “focus” sur différents sujets.

Soigne ta droite !

Nous nous approchons de la fin de cette courte visite au monde du YouTube cinéphile avec deux vidéastes pugnaces qui renouvellent à leur façon la culture du débat critique chère aux jeunes Truffaut et Godard. Le youtubeur Guim Focus, outre de très bonnes vidéos sur le Réalisme Poétique, Henri-Georges Clouzot ou sur le travail de la lumière dans un tournage, n’hésite pas à s’opposer, arguments à l’appui, aux déclarations d’autres youtubeurs critiques ou aux idées toutes faites de nombreux internautes. Dans sa vidéo Le cinéma français est-il nul ??, le vidéaste prend l’une après l’autre les assertions régulièrement assénées ici ou là pour dénigrer la production hexagonale (films nombrilistes, bourgeois, bien-pensants, ennuyeux…) et leur tord le cou avec méthode. Dans une autre, il réfute les arguments d’un confrère jugeant la chronologie des médias obsolète et contreproductive, en examinant très précisément l’histoire et le fonctionnement de cette réglementation, les implications de l’apparition des plateformes de streaming et en resituant le conflit entre la France et Disney autour de la sortie de son dernier blockbuster. Il fait aussi une critique de la critique sur YouTube, en prenant notamment pour cible sa propre production, soulignant en quoi ses premières vidéos manquaient d’intérêt (critiques à chaud superficielles par exemple). Il y attaque également d’autres chaînes, pointant le manque d’arguments critiques recevables de leurs vidéos. De quoi se faire des amis.

Encore un cran au-dessus dans la virulence, Antoine Goya excelle dans la provocation goguenarde et distanciée. Apparaissant à l’écran devant une végétation difficilement identifiable, jungle ou plantes vertes en banlieue parisienne, il se pare d’une morgue aristocratique pour tancer les confrères coupables selon lui d’ignorance ou de bêtise caractérisée. S’il ne mâche pas ses mots et peut même se montrer parfaitement tête à claque et méprisant, il utilise toujours la joute à distance pour déployer sa conception de tel metteur en scène ou de tel aspect du cinéma. Dans la mémorable vidéo Comment détester un film à coup sûr !, l’acerbe critique s’en prend à un youtubeur ayant tourné en ridicule le Jeanne de Bruno Dumont, véritable nanar à ses yeux. Souffletant son collègue par écran interposé, Antoine Goya démonte les présupposés à l’œuvre dans son rejet facile d’un cinéma inhabituel (il faut que ça bouge, que ce soit joué d’une certaine manière, que les plans ne soient pas trop longs, qu’on comprenne facilement, etc…). Il insiste sur le fait que le goût s’éduque, notamment en donnant réellement leur chance aux films éloignés de ce qu’on connaît déjà. Dans plusieurs vidéos, il utilise le terme “misomuse”, créé par Kundera dans L’Art du roman, pour fustiger ceux de ses pairs qu’il accuse de ne pas aimer l’art et de ne parler des films que pour illustrer un propos, politique par exemple, sans s’intéresser aux œuvres pour elles-mêmes. Et c’est profitant d’un conflit avec un misomuse donc, qu’Antoine Goya fait ensuite un éloge magistral d’À l’abordage de Guillaume Brac. Mais si l’on ne devait regarder qu’une seule vidéo de ce bretteur impénitent, je recommanderais celle qu’il publia suite à la disparition de Jean-Luc Godard : Comment Godard est devenu mon réalisateur préféré... Cette déclaration d’amour nourrie de nombreux extraits et parcourant toutes les périodes du cinéaste constitue non seulement une belle introduction à son œuvre, mais également un manifeste pour une cinéphilie ouverte et aventureuse.

Et pour quelques clics de plus

Alors que nous remontons à la surface, évoquons aussi le travail de François Theurel, plus connu sous le nom de Fossoyeur de Films, qui, depuis la création de sa chaîne en 2012 a développé de nombreux formats différents, proposant toujours un propos réfléchi et original et s’aventurant aussi dans la fiction pour créer un lien entre toutes les vidéos d’une même série. Si l’ensemble de sa production est digne d’intérêt, je ne saurais trop recommander d’aller jeter un œil à sa série Camera obscura, constituée de films de montage de grande qualité entrant poétiquement en écho à des textes en voix-off s’interrogeant sur des thèmes tels que la fameuse “magie du cinéma”, ou encore le rêve au cinéma, évoquant notamment l’œuvre du cinéaste Patrick Bokanowski.

La dernière adresse de ce carnet de voyage aussi partiel que subjectif sera la chaîne Microciné (38). Assez à part sur YouTube, cette chaîne créée en 2021 par Samir Ardjoum - voir l’entretien qu’il accorda à Thomas Fouet dans la Lettre N°57 - propose une quantité astronomique d’entretiens filmés (en visioconférence) avec des cinéastes, des critiques, des universitaires, sur des sujets d’une grande diversité (de Hunger Games à Jean Vigo en passant par le nouveau cinéma social britannique). Le dispositif des plus sobres auquel Samir Ardjoum est fidèle depuis ses premiers entretiens (les différents interlocuteurs coexistant à l’écran via leurs webcams, encadrés des couleurs de la chaîne) permet de se concentrer sur la parole de chacun, qui a le temps de se déployer sans coupures. Pour se faire une idée, on pourra par exemple prêter l’oreille aux échanges avec Jacques Aumont au sujet de son ouvrage Comment pensent les films ?, avec quatre amateurs de fantasy au sujet d’Harry Potter, ou encore, tiens donc, avec Antoine Goya au sujet d’Histoire(s) du Cinéma de Godard… À la fois revue de cinéma et lieu de rencontre entre acteurs et actrices de la cinéphilie, Microciné mérite le détour.

Au sortir de cette escapade dans les terres parfois hostiles de la cinéphilie sur YouTube, il me semble y avoir rencontré d’authentiques critiques de cinéma, soucieux de vulgariser Histoire et théories dans le but d’enrichir le regard sur les films et d’élever le débat au-dessus du simple conseil aux consommateurs. Sans doute un dialogue fructueux est-il possible (souhaitable ?) entre ces youtubeurs de talent et les critiques de la presse papier et en ligne. Dialogue sur l’avenir de la discipline, sur le plan de son ambition intellectuelle comme de sa réalité économique.

Gael Reyre
Gaël Reyre