Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?

Réponse de Adrien Gombeaud

1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ? 

Je suis globalement parisien. Mon père était journaliste, je suis donc un pur produit du sérail.


2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?

A mes débuts, j’étais très étonné de ne pas voir plus de femmes dans les projections de presse. Je n’en ai pas parlé à Annie Copermann qui a inauguré la place que j’occupe aux Echos aujourd’hui. Mais j’ai fait part de cette réflexion à Françoise Audé, que j’ai eu la chance de connaître à Positif et qui était de la même génération qu’Annie.

Françoise m’a expliqué que, pour les filles de sa génération, aller au cinéma seule, était en soi assez exceptionnel. En faire son métier était d’autant plus inenvisageable. Il me semble donc qu’Annie, Françoise et quelques autres que je n’ai pas connues étaient des femmes exceptionnelles. Ensuite, j’ai vu de plus en plus de jeunes femmes à ces projections. Peut-être aurais-je fait le même constat si j’avais poursuivi une carrière de commandant de bord, de chef pâtissier ou de mécanicien : croiser une ou deux pionnières, puis assister aux transformations qu’elles ont initiées en voyant émerger la génération suivante.

J’ai l’impression de vivre les changements d’une société qui se rééquilibre lentement, en constatant que les femmes d’aujourd’hui ont des opportunités de carrière dans mon métier que beaucoup hier n’ont pas pu avoir.


3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?

J’attends avec plus d’impatience les films des auteurs que j’aime. Quand je vois un film d’un cinéaste dont j’ai vu beaucoup d’autres films, mon regard est nourri par ses œuvres précédentes et je les mets en perspective avec son nouveau travail. Pour prendre un exemple récent, je pense que ne peuvent vraiment aimer Caught by the Tides que ceux qui suivent depuis plusieurs années le travail de Jia Zhangke. Est-ce cela la “politique des auteurs” ? Je dois avouer que le sens exact de cette expression m’a toujours un peu échappé. Je me demande si ce n’est pas juste un terme savant pour dire “favoritisme”.

4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ? 

Je ne considère comme des amis que les cinéastes que j’ai connus avant qu’ils ne fassent des films, et avant que je n’écrive sur les films. Donc des gens rencontrés lorsque j’étais étudiant ou lycéen. Il y en a trois qui sortent des films en salle. C’est beaucoup à l’échelle de ma vie mais peu dans la production française. Aussi la question se pose-t-elle rarement. Quand mes amis sortent un film, tous les trois ou quatre ans, je sais bien que mon regard est différent. Je les vois à travers leurs films, je lis dans leurs images ce qui a fait notre amitié, je retrouve nos conversations dans leurs dialogues, etc. Car les films ressemblent à ceux qui les font. C’est impossible autrement. Pour le reste, je sors peu car j’aime beaucoup la tranquillité et je rencontre essentiellement les cinéastes pour des interviews, ce qui est un cadre professionnel. Pour moi, la ligne est claire : un journaliste n’appartient pas à la corporation du cinéma, qui est l’objet de ses articles, mais à celle de la presse qui les publie.

5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?

Je ne fais pas de films. J’ai bien eu cette envie, adolescent, comme tout cinéphile. Mais ça n’a pas été un choix, c’était dans ma nature. Arnaud Desplechin raconte très bien dans Spectateurs ! qu’il faut aimer la solitude pour aimer aller au cinéma. Paradoxe étonnant : le cinéma est un art d’équipes. Le réalisateur est seul quand il regarde un film mais il est très entouré quand il en fait un. Rien que le nombre de noms dans un générique de fin force mon admiration pour le chef-d’orchestre qui sait diriger une telle troupe, ce dont je serais bien incapable. Le métier et la vie plus monacale de critique et d’écrivain me conviennent mieux.

6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?

Pas vraiment. J’ai fait beaucoup de reportage et comme critique, j’ai l’impression de faire le même métier : j’essaye de décrire le plus fidèlement possible ce qui m’est donné à voir et à entendre, des images, des sons, des sentiments. Je réfléchis au sens du spectacle auquel j’ai assisté, aux conclusions, aux idées que m’inspirent le film, l’histoire, les personnages. Puis je travaille à rendre mon texte le plus clair, fluide et agréable possible, selon l’espace accordé par la publication et le temps dont je dispose avant le bouclage. C’est tout.

7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?

À bientôt 50 ans, je pense appartenir à une génération charnière. Nous avons connu et fréquenté le monde d’avant car nous n’avions pas le choix : avant Internet, pour trouver un lectorat, la solution la plus simple était de rejoindre des structures créées par les anciens et de nous faire accepter par eux. La voix de nos aînés avait une vraie importance sur la vie des films, les carrières des artistes et l’évolution du monde culturel et intellectuel. Aujourd’hui, les derniers patriarches s’en vont en nous léguant ce qui survit de leur monde vacillant. Héritiers, nous prenons la barre de ces magnifiques bateaux que nous n'avons pas construits mais que nous devons maintenir à flot et faire évoluer vers la modernité en entretenant le lustre du passé.

Par ailleurs, de là où nous sommes, nous voyons les rives du monde d’après. Le monde d’une génération qui, elle, a eu l’occasion grâce à la technologie, de créer de toutes pièces ses propre structures et d’ouvrir ses espaces d’expressions. On n’en est qu’au début, on soupçonne à peine toutes les possibilités qu’ouvre ce nouveau territoire de la critique. Ce monde ne sera pas pleinement le nôtre non plus. Néanmoins, nous devons nous y intéresser, l’encourager et, dans la mesure de nos possibilités, participer à le faire advenir pour que vivent encore des textes et des auteurs après nous.