Capture Mag : Papiers d'identité

Entretien avec Stéphane Moïssakis

En dix ans d'existence, Capture Mag sera devenu une référence parmi les sites de cinema. Autant par son ton et ses choix éditoriaux que par une capacité d'adaptation aux nouveaux formats, du podcast aux émissions filmées. Pour célébrer sa première décennie, son équipe s'est lancée l'an dernier dans l'aventure d'un mook rétrospectif. Une manière de regarder vers l'avant tout en revendiquant ses racines ? Entretien-bilan avec son créateur, Stéphane Moïssakis.

Pourquoi créer une extension du site en mook ?

Nous sommes des anciens de Mad Movies. On vient donc du papier. J'ai d'ailleurs créé Capture Mag pour retrouver l'émulation d'une partie de l'équipe de Mad. Les articles du site ont été pensés dans la même idée que ceux d'un magazine papier. Les dix ans d'existence approchaient ; j'estimais qu'on avait en stock des articles de fonds qui se tenaient, alors pourquoi pas en faire une compilation. Emmanuel Bouteille, éditeur chez Akileos, m'avait contacté pour lancer une éventuelle collection de petits livres thématiques sous enseigne Capture Mag, dans la lignée des BFI classics. J'étais ouvert à l'idée, mais lui ai proposé ce mook anniversaire. Sauf qu'entre temps, Capture Mag avait basculé majoritairement vers le format podcast. On avait du coup laissé un peu tomber les textes et forcément on était passé à côté de certains films de ces dix dernières années qui nous semblaient marquants. Le mook est donc constitué de plus ou moins 60% de textes publiés sur le site et 40 % de nouveaux.

Le site est donc aujourd'hui globalement constitué de podcasts ou d'émissions filmées. Est-ce que ces formes différentes de la critique écrite ont eu une influence sur la rédaction de ces nouveaux textes ?

La question ne s'est pas posée. Nous sommes très productifs en podcasts ou vidéos mais il s'avère que nos meilleures écoutes/vues sont réalisées par les sujets sur les réalisateurs, de Sam Raimi à Stanley Kubrick, en passant par John Carpenter. Or un des moteurs du mook a été de pouvoir avoir une trace écrite au moment où la presse cinéma est, je trouve, en claire perte de cinéphilie. La grosse différence entre ces formats audio ou vidéo et le papier, est que celui-ci reste. Pour autant, je ne crois pas qu'on aurait envie de faire à l'écrit l'exercice que l'on fait à l'oral sur Capture Mag. Donc notre production audiovisuelle n'a a priori pas eu d'influence sur les textes du mook. En revanche, elle nous a permis de faire une promotion des plus efficaces pour sa parution. Il y a plein d'“auditeurs” qui ne savaient pas que nous venions de la presse papier, et qui se sont intéressés au mook, à partir des podcasts et des vidéos.

Ce mook est du coup paradoxal : il revient sur des cinéastes et des films déjà établis, là où la plupart des sites cinéma traitent essentiellement l'actualité.

Certes, mais encore une fois, le papier reste le meilleur support pour un regard rétrospectif. De même que la salle reste le meilleur endroit pour voir un film. On peut penser ce qu'on veut des films, mais quand Killers of the Flower Moon sort en salle, il est mieux perçu et accueilli que quand le Scorsese précédent, The Irishman, arrive sur Netflix. Ce n'est pas gravé dans le marbre, mais la salle offre une crédibilité. Idem pour le papier par rapport aux podcasts. Ce n'est pas pour rien qu'on parle en ce qui les concerne de contenu audiovisuel, qui se consomme en tant que tel, ce n'est pas le cas du papier. Pour l'aspect commémoratif, ça vient de notre goût de cinéma, de Spielberg à Del Toro. Mais il y a aussi des contre exemples, avec des gens moins reconnus : le mook contient par exemple une interview de Max Barbakow, le réalisateur de Palm Springs, film diffusé sur Amazon prime sans vrai retentissement, alors que c'est, pour moi, un des films américains les plus intéressants de ces dix dernières années. Je pourrais aussi mentionner l'interview de Scott Alexander et Larry Karaszewski, les scénaristes de Dolemite is my name... Ce mook n'est donc pas une œuvre de nostalgie. C'est juste qu'on aimerait être plus optimistes sur le devenir du cinéma, et de sa presse.

Est-ce que pour autant ce mook est une réaction à un traitement ou des sujets que vous ne trouvez plus dans les revues actuelles ?

Ça, ça a plus été une des raisons de la création du site... Aujourd'hui, je ne lis quasiment plus de revues de cinéma, bien plus des livres. Ou alors, je vais acheter une revue parce qu'elle contient une interview de quelqu'un qui m’intéresse. Et même si Capture Mag ou le mook traitent essentiellement des réalisateurs, une interview d'un chef'op chez So Film ou Cinémateaser suffit parfois à me décider à mettre 6 ou 7 €.

Est-ce qu'économiquement ce mook est rentable ? Dans quelle mesure ça ne tient pas aussi de la beauté du geste ?

Sincèrement, au début, on s'est dit que ce serait pour la beauté du geste. Sans entrer dans le détail des chiffres, quand l'éditeur m'a donné ceux de la fabrication, je me suis demandé si on allait pouvoir se rembourser. D'où l'intérêt de la campagne avec Kiss Kiss Bank Bank, quasiment indispensable pour lancer ce type de projet aujourd'hui, même dans le cas des hors-séries de Mad Movies ou RockyRama. Et pas seulement en termes de financement, mais aussi en tant que mode de communication. Résultat : on a obtenu 100% du montant nécessaire en deux jours.

Ça pose la question d'un auditorat de podcasts. A priori, la sphère adolescente ou trentenaire, qui en est la plus friande, n'achète plus de revue papier. Est-ce que ça signifierait que votre audience est finalement plus de votre génération...

C'est presque par défaut. Capture Mag a changé de peau au gré des années, passant d'un site écrit à des podcasts, d'abord épars, puis plus fréquents et aujourd'hui à des émissions. Ça a beaucoup tenu à une économie dans un premier temps inexistante, on a longtemps tous été bénévoles. Le site a décollé en 2019-2020 quand on a investi dans du matériel pour produire nous mêmes les contenus. Ça a aussi amené de nouveaux podcasts thématiques, comme Steroïds qui est dédié au cinéma d'action, globalement des années 1980-90, et qui a drainé une certaine génération d'auditeurs. Mais même si j'adore ce cinéma, je ne veux pas que ça devienne emblématique de Capture Mag. Il faut donc qu'on se renouvelle, mais pas forcément en se reposant sur l'actualité. Faire un podcast sur Kubrick, c'est aussi une manière de le faire découvrir à un public qui n'était pas né quand ses films sont sortis. Et tout autant pour des gens comme moi qui l'étaient mais qui les ont découverts trop jeunes pour en avoir les clés. Et s'il arrive qu'on nous perçoive comme des vieux cons, Rafik Djoumi a une très bonne formule à ce sujet : «on est peut-être des vieux cons mais qui veulent de la nouveauté». Ce qu'on veut c'est garder une liberté de ton. Pour autant, quand on essaie de sortir des clous, par exemple en faisant un Steroïds sur Last Seduction, il fait à l'évidence moins d'écoute que quand on aborde @Terminator 2 ou Bloodsport.

Est-ce que ça n'enferme pas Capture Mag dans un public de niche ? Avec la nécessité à plus moins long terme de devoir trouver comment le renouveler ?

Ça continue à me surprendre, mais je constate qu'il y a des gens jeunes qui nous écoutent. Avec le mook, on est un peu à la croisée des chemins, en faisant du print, des émissions vidéo, des podcasts. Avec des évolutions : les premières versions d'émissions vidéo se sont retrouvées noyées dans un flux de podcasts, et ont fait de moins en moins de vue. D'autant plus que l'algorithme de YouTube nous a identifiés comme une chaîne audio. En conséquence le contenu vidéo n'était plus mis en avant. Il a fallu tout uniformiser en mettant de la vidéo partout, y compris pour les podcasts, pour rééquilibrer les audiences. Or aujourd'hui, passer par l'image donne un certain pouvoir. La reconnaissance, y compris dans la rue, que nous ont données les vidéos, permettent de pouvoir conserver notre ton, notre identité. Mais sans être dupes : entre l'algorithme de YouTube et la volatilité de son public, ça ne durera peut-être pas longtemps.

Vous traitez majoritairement d'un cinéma américain qui commence aujourd'hui à s’essouffler. Est-ce que vous ne serez pas obligés à moyen terme de faire plus de place à ses équivalents émergeants, comme les blockbusters indiens ?

Mon souci est de ne pas trouver de cinéaste émergeant d'envergure. J'adore Bong Joon-Ho ou Edgar Wright, mais force est de constater qu'ils sont apparus il y a quasiment vingt ans...Pour paraphraser Rafik, devant la production américaine actuelle, je me demande effectivement si je ne suis pas devenu un vieux con (rires). Je ne crois pas avoir perdu ma passion pour le cinéma, mais j'en ai marre qu'on me resserve toujours les mêmes choses. L'important chez Capture Mag est justement qu'on puisse se définir par ce que qu'on aime et par ce qu'on n’aime pas. Beaucoup de gens nous reprochent d'avoir tapé sur les films Marvel, mais on le fait quasiment depuis le début. J'assume adorer les Spider-Man de Sam Raimi, mais ils sont devenus une exception qui confirme la règle. Idem pour les Mission : Impossible qui commencent à traîner la patte. Je pense qu'il est bon de le dire, de sortir des chapelles critiques.

Est-ce ce qui a amené le ton du site comme du mook, qui n'est justement pas dans la critique mais plus dans une approche éditorialiste ?

Je suis d'accord avec ça pour les podcasts. Quand j'étais gamin, j'adorais lire certaines plumes de Mad Movies ou Starfix. Aujourd'hui, c'est quelque chose qui s'est transféré sur les voix des animateurs de podcasts, à une différence près : la presse écrite permet encore un temps de repos, de réécriture là où les podcasts sont dans l’immédiateté. L'impact de l'image s'y est ajouté : depuis qu'on filme les podcasts, ils ont gagné en popularité. Mais on veut continuer à être des passeurs et pas des influenceurs. En gardant le même ton : on fait les mêmes blagues sur Kubrick que sur William Lustig ou Van Damme. Le mook, c'est différent. Même si on reste dans l'opinion tranchée, c'est en essayant de se rattacher à ce qu'on a emmagasiné comme savoir dans nos années de critique en presse papier.

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Capture Mag : 2012-2022 notre décennie de cinéma (Akileos)

Alex Masson

Propos recueillis par Alex Masson