HOMMAGE
Jean Roy, une vie à transmettre
(3 janvier 1948 - 2 octobre 2025)
Il était le professeur que je préférais à Nanterre, où j’ai fait mes études de cinéma. Sa voix, sa passion, sa verve, son érudition et son humour rendaient chaque minute de ses cours précieuse. Le cinéma qu’il aimait, Jean Roy le vivait. Il était en cours comme un acteur en scène, vibrant, éloquent. Il parlait à la classe (conquise) de cinéma américain, d’Orson Welles et de John Ford - sur lesquels il a écrit des ouvrages personnels et majeurs (Pour John Ford, Ed. du Cerf, Citizen Kane, étude critique, Ed. Nathan ) -, mais aussi de jeunes cinéastes contemporains qui l’enthousiasmaient alors. Il transmettait son amour et ses connaissances du cinéma avec une telle intensité qu’il était impossible d’y résister. On voulait tous être Jean Roy. Il nous a tant appris. Je dis “nous”, car il a laissé une empreinte indélébile dans la vie de nombreuses et nombreux cinéphiles, sur plusieurs générations.
Non seulement Jean Roy m’a donné le goût de la lecture et de l’écriture critiques (comme il l’a donné à beaucoup d’autres), mais il m’a également fait découvrir le Festival de Cannes, dans le cadre d’un stage chez Cannes Cinéphiles. C’était en 2008. Une première chance. Comme un présage. La première fois que j’ai entendu parler de la Semaine de la Critique, c’est par Jean Roy, lui qui en a été le dévoué Délégué Général de 1984 à 1999, révélant des cinéastes qui sont devenus aujourd’hui incontournables : Wong Kar-wai (As Tear Goes By), Arnaud Desplechin (La Vie des morts), Guillermo Del Toro (Cronos), Jacques Audiard (Regarde les hommes tomber), Kevin Smith (Clerks), Cheng-sheng Lin (Drifting Life), Gaspar Noé (Carne et Seul contre tous), François Ozon (Une robe d’été et Sitcom), Andrea Arnold (Milk) … Il avait franchement du nez. Quel leg.
Si je n’avais pas rencontré Jean Roy, je ne serais sûrement pas devenue critique de cinéma. C’est lui qui a allumé le feu et il n’a jamais cessé de souffler sur les braises, comme pour m’encourager à persévérer dans cette voie. Il est le premier à qui j’ai écrit lorsque j’ai été élue Déléguée Générale de la Semaine de la Critique. Il a suivi les récentes éditions avec attention, toujours curieux des choix de programmation et des films sélectionnés. En mars dernier, il m’écrivait à propos du documentaire égyptien Les Filles du Nil : “Chère Ava, non seulement «Les Filles du Nil» m’a plu, mais il m’a enthousiasmé tant il manifeste une confiance tant dans l’art que dans la jeunesse. Voir votre nom dans le générique de fin fut pour moi la cerise sur le gâteau».
Jean Roy nous a quittés le 2 octobre dernier, mais ses écrits resteront. Des textes critiques (publiés dans L’Humanité) à lire et relire sans modération. Le cadeau d’une vie.
Ava Cahen