Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?
Réponses de Jacky Goldberg
1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?
Je suis fils d’enseignants de province, et petit-fils d’employés.
2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?
J’ai travaillé avec autant de rédacteurs en chef que de rédactrices en chef. Ceci étant dit, il y a plus d’hommes que de femmes au sein de la critique, c’est indéniable.
3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?
Je suis né à la critique en lisant, assez tardivement, aux alentours de la vingtaine, les Cahiers du cinéma, époque Jean-Marc Lalanne (début des années 2000 donc). Jean-Marc qui m’a par la suite appris les rouages de ce métier et qui m’a offert de travailler aux Inrockuptibles, où je suis toujours. La politique des auteurs a donc toujours été un référent solide pour moi, un outil pertinent dont le panache des inventeurs m’a toujours séduit. Pour autant, je n’en suis pas un intégriste et je ne vais pas forcément défendre un film que j’estime raté d’un.e auteur.e que j’admire - dernier exemple qui me vient : le très médiocre Ferrari de Michael Mann. Mais j’ai naturellement tendance, si j’aime un.e cinéaste, à voir le positif dans ses œuvres et à pardonner plus facilement ses faiblesses - et vice-versa pour celles et ceux que je n’aime pas. Mais n’est-ce pas notre cas à tous, honnêtement ?
4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ?
Etant critique et cinéaste, et ayant évolué 7 ou 8 ans dans le tout petit milieu de la cinéphilie parisienne - je vis à Los Angeles et j’en suis plus éloigné aujourd’hui -, j’ai été amené à rencontrer de nombreux cinéastes, et à me lier d’amitié avec certains. Quand c’est le cas, j’évite d’écrire sur leurs films - cela m’est facilité par le fait que j’ai surtout été amené à écrire sur le cinéma américain. Il m’est arrivé quelques fois de devoir écrire sur le film d’un.e ami.e et c’est inconfortable (même si je ne me force jamais à écrire des choses que je ne pense pas). Heureusement, on est suffisamment nombreux dans la rédaction pour éviter que ça arrive.
5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?
J’ai toujours fait les deux activités en parallèle. Mon entrée dans le métier de critique en 2008 correspondant à la réalisation de mon premier court-métrage. Je n’y vois pas de contradictions tant que je fais des courts-métrages ou des documentaires, hors des circuits commerciaux, mais je me suis toujours dit que, quand je réaliserai des longs, je suspendrai mon activité critique. C’est d’ailleurs, me semble-t-il, ce qu’ont fait pratiquement tous mes prédécesseurs dans cette longue lignée française de critiques-cinéastes - chose presque inconcevable aux Etats-Unis, où ce sont deux métiers radicalement opposés, qui se regardent en chien de faïence (il y a quelques exceptions bien entendu, à commencer par Peter Bogdanovich). A mon sens, la critique nourrit la mise en scène, en tant qu’apprentissage du regard et de l’écriture. Ce sont toutefois deux énergies différentes qui se déploient dans ces deux activités, qui ne requièrent pas les mêmes qualités : un critique est une sorte d’écrivain, seul face à sa page, alors qu’un cinéaste est un chef d’orchestre, qui travaille nécessairement en équipe. L’écriture d’une critique et celle d’un scénario n’ont pas grand chose à voir. Ça ne fait pas appel aux mêmes cases dans le cerveau ; et je dirais qu’il faut, pour écrire des films, éloigner quelque peu la théorie et les scrupules critiques, sous peine d’être tétanisé.
6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?
Je ne me moque pas des comédien.nes. Si je dois en dire du mal, je reste le plus objectif possible car, comme disait Capra, il n’y a pas de mauvais acteurs, que de mauvais metteurs en scène.
7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?
J’ai l’impression que ma génération (je suis né en 1981, je suis donc un “early millenial”) est dans un entre-deux. Marquée par une vision esthétique des choses (que le cinéma, c’est d’abord de la mise en scène), mais pas complètement rétive à des grilles de lectures culturelles, ou sociologiques. J’ai l’impression que les lignes ne sont pas figées, mais c’est une observation très empirique, je n’en suis pas certain.