Disparitions

Jean-Pierre Jeancolas | Gérard Gozlan | Joël Magny

JEAN-PIERRE JEANCOLAS (1932-2017)
La passion de l'histoire
Par Philippe Rouyer

Enfant de la Libération, Jean-Pierre Jeancolas a d’abord vu dans les films un moyen d’évasion, avant de découvrir, via le cinéclub de son lycée, un autre cinéma. De son propre aveu, c’est quand il a établi une passerelle entre ces deux types de films qu’il est devenu cinéphile. Tout en suivant une formation d’historien, il a commencé à lire des revues (Cinéma 55…) et à écrire sur les films qui retenaient son attention. Encore provincial à l’orée des années 1960, il multiplie les voyages éclair à Paris pour faire le plein de séances et il fréquente assidûment les CiCi (Congrès international du cinéma indépendant), journées de projections de films de patrimoine, en lien avec les différentes cinémathèques européennes. À partir de mai 1965, il commence à collaborer à Jeune Cinéma, la revue de la Fédération Jean-Vigo, qui vient de se créer (elle en est alors à son numéro 7). C’est le début d’une grande amitié avec son rédacteur en chef Jean Delmas, qui l’a formé à l’écriture d’articles et dont l’exigence est restée pour lui un modèle. Le passage à Positif s’opèrera de façon progressive, à partir d’un premier texte sur le cinéma français (déjà sa spécialité) dans le numéro 134 (janvier 1972).

Mais la critique de cinéma n’est pas le premier métier de Jean-Pierre, qui est alors professeur d’histoire. Cet intérêt pour sa matière, il a su le transposer au cinéma et être parmi les premiers à faire entrer l’histoire du cinéma dans une ère moderne. À savoir une approche qui abandonne son rêve d’universalité pour se concentrer sur des périodes et des formes particulières. Ses recherches passent par la fréquentation systématique des archives, les films, bien sûr, qu’il convient de revoir pour ne pas se fier aux souvenirs trompeurs, mais aussi toute la documentation papier de l’époque (documents de tournage, matériel d’exploitation, journaux corporatifs…) à laquelle il adjoint (en les recoupant avec des sources plus fiables) les témoignages des collaborateurs. C’est ainsi que dans son indispensable 15 ans d’années trente : Le cinéma des Français (1929-1944), il ne se contente pas de livrer de belles pages sur les œuvres de Renoir, Vigo et Grémillon. Il montre comment la connaissance des conditions de production de leurs films en permet une meilleure analyse. 

Toute sa vie, Jean-Pierre est resté attaché au cinéma français, s’intéressant aussi à sa dimension sociologique  : le film comme témoignage sur son époque, qui livre de nouvelles pistes quand on le redécouvre avec le recul de quinze ou vingt années. Il s’est aussi passionné pour le cinéma hongrois sur lequel il a beaucoup publié avant de livrer la synthèse de ses travaux dans L’Œil hongrois : Quatre décennies de cinéma à Budapest (1963 – 2000). Jamais dogmatique dans ses jugements, JeanPierre Jeancolas n’en a pas moins défendu toute sa vie une cinématographie engagée qui l’a conduit tout naturellement à écrire sur le cinéma dans le magazine Politis, dès son premier numéro, en 1988. Sur le terrain, son engagement l’a amené à s’occuper de l’unité Cinéma de la Maison de la Culture de Créteil, quand celle-ci s’est ouverte en 1973, mais aussi à créer avec quelques amis, dont Jean A. Gili et Vincent Pinel, l’AFRHC (Association française de recherche sur l’histoire du cinéma), à l’origine de la revue 1895.

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GÉRARD GOZLAN (1935-2017)
L'Anti-Bazin
Par Gérard Lenne

Sortant de l’Idhec en 1959, Gérard Gozlan entre vite à la télévision, où il œuvre surtout dans le documentaire, avant de passer à la fiction en 1973. Entre-temps, il a exercé une activité parallèle de critique en écrivant dans diverses revues (Cinéma, Positif, Les Lettres françaises, La Revue du cinéma, La Nouvelle Critique) et en collaborant à L’Encyclopédie du cinéma de Roger Boussinot (Bordas). Il est aussi l’auteur de deux ouvrages : Armand Gatti aujourd’hui, avec Jean-Louis Pays (Le Seuil, 1970) et L’Anti-Bazin, préfacé par Bernard Chardère (Le Bord de l’eau, 2013), qui reprend ses deux grands articles polémiques publiés dans Positif, en 1962, Les Délices de l’ambiguïté. Natif d’Alger, Gérard Gozlan fut un militant très actif contre la guerre d’Algérie. Il a gardé la réputation d’un homme toujours aimable, qui ne disait jamais de mal de quiconque. « Sauf de Bazin » précise malicieusement son épouse. Mais c’est une autre histoire...

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JOËL MAGNY (1946-2017)
Sous une apparente réserve...
Par Christian Berger

Cinéphile et cinéphage dès son adolescence lilloise (une conférence de Jean Douchet aiguisa sa passion pour le cinéma), Joël Magny impressionnait tous ceux qui travaillèrent à ses côtés par son immense savoir cinématographique, sa modestie, sa droiture, sa disponibilité, et son ouverture d’esprit  : son apparente réserve cachait aussi (mal, et pas longtemps !) un humour aussi chaleureux que malicieux. Après avoir collaboré à Téléciné (suite au départ de Gilbert Salachas), puis avoir été l’un des piliers de Cinéma, mensuel qui marqua profondément les cinéphiles, il fut entre 1989 et 1992, sous le pseudonyme d’Olivier Serre, le rédacteur en chef des Fiches du Cinéma et de leur Annuel, dans une période particulièrement difficile de l’histoire de cette revue, encore liée, alors, à l’épiscopat. C’est là que nous nous sommes connus et sommes devenus et restés amis : notre profonde divergence sur le cinéma de Rohmer, dont il fut le meilleur spécialiste, était devenue l’objet de plaisanteries récurrentes  ! Il avait également rejoint les Cahiers du cinéma, dont il devint l’un des plus solides collaborateurs et directeurs de collection.

Enseignant de cinéma à l’université de Paris VIII, travailleur aussi exigeant que prolifique, il écrivit de multiples articles, dirigea avec Michel Ciment et Jean-Claude Loiseau La Petite Encyclopédie du Cinéma (1998), publia de nombreux ouvrages sous l’égide des Cahiers, dont les formidables Chabrol (1987) et Pialat (1992), des essais plus théoriques ou didactiques comme Le Point de vue  : du regard du cinéaste à la vision du spectateur (2001), jusqu’à son ouvrage-hommage d’entretiens avec Douchet, Jean Douchet, l’homme-cinéma (2014). Également contributeur de L’Encyclopædia Universalis, auteur de nombreux livrets de présentation de DVD (pour MK2 notamment), il participa aussi aux initiatives remarquables de «Collège au cinéma», activement épaulé par sa compagne Yvette, et fut longtemps la cheville ouvrière des prix littéraires décernés chaque année par notre syndicat.

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