Netflix : état critique

Entretien avec Laurent Cotillon

Le 19 mars dernier a eu lieu un débat consacré à l’impact des géants du numérique sur le cinéma français. Parmi les intervenants se trouvait Laurent Cotillon, le directeur de la publication du Film Français. C’est sous une autre casquette, celle de directeur exécutif de Première que nous avons souhaité l’interroger sur une question corollaire de ce débat : quid de l’impact des plateformes SVOD comme Netflix sur la critique ?

Netflix est en train de bousculer profondément le monde du cinéma français. Est-ce qu’il en est de même dans son traitement critique ?

Pas vraiment dans le propos, mais pour le reste oui. Comment traiter les films Netflix ? Même si  aux yeux de la loi française, leurs films sont des œuvres télévisuelles, pour le public ça reste, n’en déplaise aux puristes, des films de cinéma, on est obligé de leur reconnaître ça. À partir du moment où ça a la forme d’un long métrage, en ce qui concerne la critique, les choix de la rédaction de Première s’imposent, que ce soit pour les mettre en avant ou à l’inverse dire qu’elle n’a vraiment pas aimé, c’est leur liberté éditoriale. De manière plus générale, il y a une vraie question sur l’aspect critique et l’appauvrissement du goût du public que pourrait amener Netflix. Je ne sais pas si c’est un fantasme, une chasse aux sorcières ou une réalité. Mais pour être consommateur de Netflix comme d’autres plateformes de VOD, je vois bien que les contenus se ressemblent de plus en plus, qu’il n’est pas simple d’y trouver des propositions variées. C’est peut-être là qu’il peut y avoir un problème d’aseptisation, sans compter quelque chose qui peut impacter la critique : on en est venu à considérer les films et les séries en volume, et pas forcément en envie de les voir. Une fois payés les 10€ d’abonnement, on peut voir tout ce qu’on veut, ce n’est pas le même rapport que quand on paye un ticket de cinéma, un DVD ou à une époque une location en vidéo-club. Le contenu, du coup, perd de sa valeur, et par conséquent de sa valeur critique auprès du public : ce n’est plus une œuvre de création mais un objet.

Un phénomène nouveau est apparu avec l’arrivée sur Netflix de cinéastes auteurs, Cuaron hier, Scorsese, Soderbergh, JC Chandor ou les frères Safdie bientôt... Ces réalisateurs-là sont abordés par le biais d’un discours critique, analytique...

Netflix ne va se les accaparer qu’une fois... En fait c’est une seconde vague, un nouvel assaut sur le cinéma. Il y en a eu une il y a deux ans quand ils ont été diffuseurs, entre autres, de Bright avec Will Smith. Sauf que c’était tout sauf des grands films. Ils remontent au créneau cette fois-ci avec des auteurs. Mais c’est uniquement pour des questions de marketing : ils veulent pouvoir présenter des cinéastes auteurs dans les  festivals de Catégorie A (Cannes, Venise, Berlin, Toronto) et concourir aux prix nationaux, des Oscar, aux Magritte, en passant par les César. Ils ont offert des opportunités à des cinéastes qui pourraient très bien être financés autrement. Ils en ont besoin comme caution, et à ce titre sont prêts à leur donner des budgets confortables. Ça marche comme ça pour le moment, mais on va vite arriver à un moment où Scorsese ou Cuaron reviendront à leurs égo de cinéastes, qui ne vibrera pas si leurs films n’existent pas  en salles. Donc ils retourneront au cinéma.

Si on parle de marketing, c’est une des puissances de Netflix. Jusque dans la gestion de la mise en ligne de leurs films, qu’il leur arrive de décider sans prendre en compte les délais de fabrication des journaux de cinéma. Est-ce que cette prise en main à changé quelque chose pour Première ?

La chronologie des médias a été abordée tout à l’heure dans le débat, là il faut qu’on réinvente une chronologie des papiers. C’est bien pour ça que les magazines de cinéma ont des sites, pour pouvoir chroniquer malgré tout les films Netflix en temps et en heure. Mais ça va même au-delà : les gros blockbusters américains ne sont jamais montrés à temps pour nos bouclages.

Vous faites cependant régulièrement des couvertures sur ces mêmes blockbusters, pour un traitement éditorial forcément à l’aveugle. Est-ce qu’il n’y a pas du coup un risque d’appauvrissement du contenu ?

Ah mais là forcément on ne dit pas aux lecteurs “ce film est bien” ou “nul”, mais “on sait que vous avez envie de le voir, voilà des informations dessus”. C’est vieux comme la presse cinéma, mais pour le coup ça reste le seul endroit où on a une valeur. Arriver avec une couverture sur le film au moment où il sort ou est déjà sorti, quelle est la plus value ? Ok, on a un éditorial choisi, mais c’est bien mieux d’arriver en amont...

La plus value pour qui ?  Dans la mesure où cela donne généralement des articles à la valeur de fait limitée par l’impossibilité de parler du film, ou des interviews d’acteurs et de réalisateurs qui, quasi-contractuellement ne peuvent pas répondre aux questions autres que superficielles, elle reste très limitée pour le lecteur...

C’est exactement ça le problème : les studios américains passent leur temps à avoir peur. Des pirates, de la critique. Ils imposent donc des contraintes à leurs metteurs en scène, techniciens ou acteurs pour ne pas en dire trop, ou ne pas aller sur certains terrains. Bon, ensuite les acteurs n’ont pas forcément des choses passionnantes à dire, même quand ils font des bons films...

Si on revient au marketing chez Netflix, est-ce qu’il n’y a pas un risque d’entrisme ? On peut lire sur Allociné des contenus signés Netflix X Allociné, qui tiennent du publi-rédactionnel déguisé en articles... Est-ce que vous pourriez envisager, de même que vous avez un contrat avec Pathé/Gaumont pour que des rédacteurs de Première rédigent leur magazine diffusé en salles...

Et ? Quelle est la question ?

 … Est-ce que vous pourriez envisager un accord similaire avec Netflix, par exemple, au principe du brand content, qui se pratique de plus en plus en presse, pour que des rédacteurs de Première rédigent les textes de présentation des films sur leur site ?

… Euh, alors donc vous insinuez quelque chose sur notre capacité à faire notre métier, à ne pas savoir cloisonner les choses ? Franchement la relation avec le magazine Pathé/Gaumont n’a rien à voir avec celle de Webedia (NDR : propriétaire d’Allociné) avec Netflix. Et en  l’occurence non, on ne fait pas la même chose. Si on trouve qu’un film produit par Pathé ou Gaumont n’est pas bon, on le dit. Il n’ y a aucun problème avec ça. Et puis bon ce n’est pas le sujet, franchement. Là on va sur quelque chose qui est interne à la profession, et excepté les journalistes, ça n’intéresse personne... Bon, on peut couper le magnéto ?

 

Alex Masson  Propos recueillis par Alex Masson