Deux aventures en ligne : 1/ BANDE À PART

Bande à part, de la tablette au web

Entretien avec Anne-Claire Cieutat

Bande à part a été le premier mensuel de cinéma conçu uniquement pour tablette en France. Créé en 2013, récompensé aux Digital Magazine Awards, le magazine a publié 50 numéros. En 2018, il a migré sur le web, alors que le lectorat numérique se concentre sur le smartphone. Retour sur cette aventure, à la fois particulière et emblématique, en compagnie de la fondatrice de la revue, Anne-Claire Cieutat.

    À PART

Au moment de son lancement, en 2013, Bande à part est vraiment à part : il est le premier magazine de cinéma conçu pour la tablette tactile en France. Il ne s’agit pas d’y dupliquer la version PDF d’un magazine papier ni d’adapter un site web existant. Tout est à inventer et tout est possible sur ce nouveau support, dans la mise en forme des contenus et leur mise en scène, avec un mode de navigation tactile qui s’adapte à plusieurs modes de lecture. La conception graphique nouvelle remet en cause les standards et les normes de la publication papier et offre aux éditeurs une grande liberté de création.

En 2010, l’iPad d’Apple, a bousculé le marché des nouvelles technologies. Misant sur ce marché des tablettes, alors en plein essor, Anne-Claire Cieutat crée, avec Fouzi Louahem, un magazine exploitant les possibilités graphiques de ce support pour parler du cinéma dans une approche éditoriale renouvelée par des formats inédits, cassant les codes de la critique traditionnelle. 

Bande à part est entièrement pensé pour la tablette. Rapidement l’application suscite la curiosité et l’intérêt des talents et des distributeurs de films : “Bande à part offrait des propositions éditoriales et artistiques singulières : des feuilletons, des visites interactives de bureaux, de loges, et tout un tas de concepts éditoriaux qui ont plu”.

Bande à part est invité à s’exprimer dans des festivals et des workshops professionnels. Aquafadas, entreprise spécialisée dans la création d’applications innovantes, en parle jusqu’au Japon. Le magazine fait même l’objet d’une étude à l’école des Gobelins.

    DES RÉCOMPENSES

Bande à part, avec Les Editions du Bout des Doigts, installées à Strasbourg, innove et se distingue. “On a eu deux prix importants à Londres, aux Digital Magazine Awards : le prix du Meilleur nouveau magazine en 2013, celui du Meilleur magazine de cinéma en 2014. En 2014, nous avons aussi été promus dans le best-of de l’année d’Apple. C’ela constituait trois forts signes d’encouragement”.

Mais la fabrication d’un tel magazine a un coût important. “Plus on crée des contenus forts, enrichis, plus l’application prend une place considérable, qui exige un matériel puissant. Fabriquer un magazine natif pour tablette coûte cher en termes d’outils, de création graphique, d’hébergement”.

    UN MOTEUR UNIQUE

Bande à part pourrait jouer un rôle moteur. Mais la presse française se montre rétive à la création de magazines destinés exclusivement à la tablette. Si des titres phares de la presse nationale ont créé leur application, il ne s’agit que d’une extension de leur contenu papier. Et Bande à part reste à part dans le milieu du cinéma : “On a passé cinq ans à essayer de créer, de proposer, d’innover, mais nous sommes restés des bêtes curieuses. Nous faisions figure de précurseurs sans être suivis. Bien sûr, nous n’avions pas de prétention à jouer les leaders, mais les observateurs se sont rendu compte que les magazines natifs sur la tablette, ce n’était pas viable”.

La tablette n’est pas l’avenir de la presse magazine. Faute de locomotives pour entraîner de nouveaux usages, il n’y a pas eu en France de mouvement permettant de faire décoller le modèle. Et comme il n’y a pas eu de marché de la presse tablette, Apple a fini par fermer son kiosque.

    LA GRATUITÉ

Le marché est frileux, par manque de recul, pour définir une valeur transactionnelle des applications. Mais Bande à part est gratuit. Non seulement le titre veut ainsi, dès sa création, augmenter sa visibilité, mais plusieurs études montrent que les lecteurs ne sont pas prêts à payer. Le modèle économique de l’application ne repose donc pas sur ses abonnés : il est indexé à 100% sur la publicité. 

Bande à part n’a pas de ressources propres. Mais pour séduire les annonceurs, prudents face à l’émergence de la tablette, il faut avoir un niveau élevé de téléchargements. La revue recourt à une régie publicitaire, mais cela ne suffit pas à faire entrer des ressources suffisantes. 

    LE TÉLÉPHONE

La presse sur tablette ne décollant pas, Bande à part, en quête de son business model, s’adapte aux nouveaux usages et modes de consommation, avec une version de l’application pour smartphone. 

Car les lecteurs, de plus en plus, privilégient le mobile, qui confirme son statut privilégié pour l’accès à internet et la consultation de contenus digitaux. Le Baromètre du numérique 2018 l’affirme : “Dans la course effrénée des ménages aux équipements numériques qui voit chaque année fleurir de nouvelles possibilités (tablettes, montres connectées, et depuis peu enceintes intelligentes), le smartphone s’impose comme l’équipement de référence”.

Bande à part est alors à la fois sur la tablette et sur le téléphone. Ce n’est pas simple : “Apple et Androïd ne sont pas au diapason, donc c’est un vrai casse-tête technique pour fabriquer une application transposable d’un support à un autre. Cela coûte cher, cela prend du temps et les équipes artistiques doivent se mobiliser intensivement”.

En 2018, Bande à part, passé du format tablette au format smartphone, migre finalement sur le web pour des raisons économiques.

Après 50 numéros, l’application ferme. Son modèle économique n’a pas encore été trouvé.

    LE WEB

Sur le web, les ressources sont très limitées. Tout l’enjeu est de trouver enfin un équilibre financier. “L’un des défis de Bande à part version web est de trouver progressivement un modèle économique qui permette de préserver l’esprit du magazine”.

Bande à part ne veut pas renoncer à ce qui l’a animé depuis sa création, dans la recherche de formes neuves pour parler du cinéma, faire partager des élans, des désirs, des curiosités, des passions. Anne-Claire Cieutat et sa bande n’ont pas abandonné leur “goût du jeu et de la fantaisie”.

Nathalie Chifflet  Propos recueillis par Nathalie Chifflet