Et voilà le (télé)travail !

Par Marie Sauvion

Le 16 mars, nous n’étions pas prêts pour le télétravail. Le 17 et le 18, non plus d’ailleurs ! La semaine suivante, pourtant, Télérama était bien livré en kiosques et dans les boites à lettres de ses abonnés. Depuis, chaque mercredi, notre magazine papier a été fidèle au rendez-vous, dans une pagination temporairement réduite, privée de son supplément Sortir, tandis que notre site Internet a multiplié sa production dans un effort collectif qui me semble aujourd’hui inouï. En ce qui concerne le service cinéma, il y avait plusieurs batailles à mener de front : chroniquer cette crise inédite et ses conséquences humaines, culturelles, économiques ; continuer de suivre l’actualité des « sorties » numériques, aussi bien en VOD que sur les plateformes ; inventer des sujets hors agenda, pour continuer de parler cinéma à nos lecteurs.
Concrètement, il a fallu très vite trouver un mode de fonctionnement, organiser des réunions virtuelles quotidiennes ou hebdomadaires, composer avec les contraintes de chacun (notamment l’école à la maison pour certains parents), remplacer les échanges habituels, au détour d’un couloir ou devant un café, par des coups de fil et des mails. Toute une partie de la société française a découvert en même temps les bons et les mauvais côtés du télétravail, je ne m’étendrai pas sur le sujet. Il a surtout fallu, au sein du service Écrans dirigé par Samuel Douhaire, encaisser le choc d’une période sans salles de cinéma, sans tournages, sans projections de presse. Une période douloureuse à chroniquer, pas parce que les projos nous manquent (même si elles nous manquent cruellement !) mais parce que, chaque jour, nous pouvons mesurer en direct l’étendue de la catastrophe pour tous les acteurs du secteur : auteurs, producteurs, distributeurs, exploitants – sans même parler de nos confrères (pigistes, chroniqueurs, magazines ciné indépendants…) ou des attachés de presse qui ont pris la crise de plein fouet eux aussi.
Les semaines passant, nous avons enquêté tous azimuts, tant sur les conséquences de la fermeture des salles que sur la situation des intermittents ou l’annulation, alors hypothétique, du Festival de Cannes. Au présent du récit s’est souvent mêlé le conditionnel d’un futur flou. Il y a eu aussi le passé revisité du patrimoine, porté par les rediffusions télé et le boom de la VOD et de la SVOD. De l’omniprésence de Louis de Funès sur le service public à l’arrivée de Truffaut sur Netflix, en passant par l’héritage de Michel Audiard cent ans après sa naissance, on a bien sûr abordé tout cela à notre façon, selon notre ligne. Tout en accompagnant des pratiques plus pointues, expérimentales, du cinéma d’auteur contemporain – par exemple, les séances géolocalisées de La 25e Heure – et en décryptant les imprévus d’une industrie déboussolée (cf l’achat du Pinocchio de Matteo Garrone par Amazon Prime).
Du 12 au 23 mai, aux dates où le Festival aurait dû avoir lieu, le site de Télérama a proposé une série « Cannes sans Cannes » appuyée sur la programmation des chaines et des plateformes. Cannes et le cinéma asiatique, Cannes et la politique, Cannes et ses  « chouchous », Cannes et les grands oubliés du palmarès… Toujours sur le site, la collection « Ciné-clubbing » de Laurent Rigoulet – grand reporter qui anime chaque mois « L’Inconnu du ciné-club », le ciné-club surprise de Télérama – a permis de fouiller dans ses archives formidables. Ken Loach, Marina Foïs, Robert Guédiguian, Noémie Lvovsky, Nathalie Baye, Mathieu Amalric, Xavier Giannoli, mais aussi les chanteurs Christophe et Vincent Delerm, tous sont venus y déclarer leur flamme à des films et présenter des extraits qui ont compté dans leur vie.
Bref. Il y aurait cent autres papiers à citer mais, in fine, tous mènent à un constat paradoxal, du moins en apparence : depuis le gel de la mi-mars, le service cinéma de Télérama a travaillé comme rarement. Désireuse d’accompagner les lecteurs dans ce temps anxiogène, de leur offrir à la fois une information rigoureuse et le plein de gourmandise – et leurs innombrables messages de remerciements nous ont bien récompensés – mais soucieuse aussi de soutenir une industrie à l’arrêt, de pointer l’inertie des pouvoirs publics, et enfin d’entretenir la passion, la rédaction vient de passer plus de deux mois en quasi apnée. Entendons-nous : il n’y a pas de gloire à en tirer, pas de médaille à espérer, d’ailleurs c’est plutôt un privilège de pouvoir exercer son métier de journaliste culturel par les temps qui courent. Il n’empêche, je profite de l’occasion pour tirer mon chapeau à tous mes camarades. Qui me manquent et que j’ai hâte de retrouver.

Marie Sauvion

Marie Sauvion