International et confiné

Jury FIPRESCI

Maintenir un jury presse dans un festival de cinéma, quand celui-ci a lieu en ligne ? Il a fallu s’y faire. Le premier jury FIPRESCI au temps du Covid-19 a eu lieu lors de l’édition de Cinélatino Toulouse.

Dès que la question s’est posée, en février/mars, le bureau de la FIPRESCI était divisé. Demander à des collègues journalistes de regarder des films en ligne, de siéger chacun chez soi et de remettre, tout de même, un prix ? Personnellement ma réponse était : non. Pas tellement en tant que présidente de cette fédération qui réunit les associations de critiques de par le monde, mais en tant que journaliste et critique moi-même.
Il me semblait plus raisonnable d’annuler les jurys, parce que l’absence de lien social, de rapports humains, de partage, l’impossibilité de voir les films tous ensemble dans les salles, tout cela était contraire à ce que nous défendons. Que ce soit au sein de la FIPRESCI, du SFCC, dans nos métiers et - oserais-je ajouter - dans nos cœurs. Par peur aussi que les « mesures exceptionnelles » ne se transforment en « excuses renouvelées » (genre : « Suite au Covid-19 en 2020, nous avons eu une grosse réduction de budget pour 2021... »), voire en « mauvaises habitudes »...
Parce qu’en ce temps-là, fin février/début mars, autant écrire « il y a une éternité », on se disait que le coup d’arrêt ne toucherait que quelques festivals en mars/avril, on s’envisageait encore à Cannes en mai... Qu’on s’enferme tous pour huit semaines était à peine le début d’un étrange scénario dans nos imaginations pourtant très ouvertes aux fictions les plus farfelues.
Et puis, il a fallu se rendre à l’évidence. Nous devions dire oui aux festivals partenaires avec lesquels nous avions toujours entretenu une relation d’échange professionnel, ceux d’entre eux qui souhaitaient que leur édition 2020 ait lieu, via Internet et les plateformes, et pour lesquels des jurys avaient déjà été désignés. Le premier de la liste à tenter l’aventure « online » fut Cinélatino, et les membres du jury FIPRESCI ont tous accepté de jouer le jeu. Plus par curiosité que par nécessité, je les ai accompagnés dans cette première expérience faite d’échanges de mails et de messages, de réunions virtuelles sur WhatsApp.
Je réalise en écrivant ces lignes que je ne sais même pas dans quelle ville du pays qui est le leur Paulo Portugal (Portugal), Xavier-Daniel (Espagne) et Sjoerd Van Wijk (Hollande) étaient confinés. J’ai vu dans l’écran riquiqui de mon téléphone portable leurs bureaux, leurs canapés, j’ai même parfois entendu leur entourage faire irruption. Mais nous n’avons pas échangé au-delà des informations nécessaires à l’avancée de leur travail de membres du jury. Et c’est ça, la grande différence. Tout s’est très bien passé, ils ont vu tous les films, en ont discuté, ont choisi un vainqueur, ont écrit une phrase d’explication et même enregistré une vidéo. Professionnellement, rien n’a changé. Mais aucun d’eux, aucun de nous, n’a pris le temps de bavarder, de digresser, de flâner. Nul trajet vagabond dans la ville de Toulouse, pas de repas en commun aux abords de l’une des salles de projection, même pas de bavardage avant le début de la séance, encore moins de disputes ou d’échanges passionnés en sortant du cinéma...
Nous ne nous sommes pas « rencontrés ». Nous savons quelles œuvres ont attiré l’attention de Xavier, l’émotion ressentie par Sjoerd devant ce long métrage qu’aucun des deux autres n’aimait, l’analyse pertinente de Paulo sur le mélange subtil de documentaire et de fiction dans un de ses films préférés. Même la mauvaise foi ne peut guère s’insinuer dans ces virtualités formatées. Le jury a parlé cinéma - et c’est déjà ça -, mais il l’a fait, comme on dit sur un plateau de tournage, « en minutes utiles », or ce qui fera, justement, toujours le miel de nos séances festivalières c’est l’inutile, le furtif, l’inattendu, le buissonnier.

Isabelle Danel

Isabelle Danel