La critique hors les murs

L'Édito du Président

En cinquante-neuf éditions, c’était une première ! Suite à l’annulation de l’édition physique du festival de Cannes sur la Croisette au printemps dernier, la Semaine de la Critique s’est tenue en 2020 « Hors les murs ». À savoir au Festival du Film Francophone d’Angoulême fin août, à la Cinémathèque de Corse en septembre et à La Cinémathèque française en octobre. Mais aussi au Festival de Morelia au Mexique et, pour les dix courts métrages, sur la plateforme numérique Festival Scope.

Pourquoi avoir tenu à un tel déploiement, qui a mobilisé argent, travail et énergie du Délégué général Charles Tesson, de ses sélectionneurs et de toutes les équipes de la Semaine et du SFCC, alors qu’il aurait été si facile de prendre acte de l’annulation du festival et de passer directement à la préparation de l’édition du soixantenaire en 2021 ? Tout simplement parce que la raison d’être de la Semaine, depuis sa création, n’a pas changé : aider, promouvoir et faire connaître le jeune cinéma. Des premiers et deuxièmes films choisis exclusivement par des critiques de cinéma, qui sortent de leurs rédactions pour s’engager dans la jungle de la création contemporaine, à la recherche de jeunes pousses prometteuses.

En mars dernier, quand le premier confinement a été décrété, les comités courts et longs métrages de la Semaine 2020 étaient au travail depuis plusieurs mois. Une quantité considérable de films avaient été visionnés, d’autres continuaient à affluer. Il n’était pas question d’abandonner au milieu du gué les cinéastes et leurs équipes qui nous avaient accordé leur confiance. D’où l’idée de garder le cap, de concocter une sélection qui pourrait voyager de par le monde. Dans cette optique, et afin de choyer au mieux les titres retenus, la nécessité de réduire le nombre des longs métrages s’est vite imposée. Un nombre qui s’est fixé à cinq (au lieu des dix ou onze habituels) au gré des discussions avec les productions tentées de nous suivre dans cette aventure inédite. Qu’il s’agisse d’une majorité de productions hexagonales n’a rien de surprenant ; elles étaient les plus pressées de sortir en salles dans la foulée de cette sélection.

À l’heure du bilan, l’expérience a été plus que positive pour les films, au vu des premiers retours de la presse et du public, au vu aussi de la liste éloquente des prix récoltés dans des festivals comme ceux de Sitges, Toronto, Namur, Los Angeles, Saint-Jean-de-Luz et Bordeaux.

Même loin de la Croisette, la Semaine a ainsi pleinement joué son rôle de tremplin, à la satisfaction de tous, artistes, spectateurs et partenaires (publics et privés) eux aussi au rendez-vous. Nous serons assurément tous très heureux, pour la Soixantième Semaine, de retrouver nos bonnes habitudes cannoises et notre chère salle Miramar, entièrement refaite pour améliorer l’accueil et les conditions de projection. Mais de cette expérience hors les murs, j’aimerais que l’on garde aussi l’idée que, pour continuer à exister, la critique a su s’adapter. Et que ce qui est vrai pour notre Semaine l’est pour la profession dans son entier. 

La cinéphilie n’est pas morte, l’envie des spectateurs d’aller voir des films en salles est toujours là. Les chiffres de fréquentation avant le deuxième confinement le prouvent, tout comme les témoignages exprimés dans ce numéro de La Lettre. Mais cette crise sanitaire passée, tout ne redeviendra pas comme avant. Les aides gouvernementales ne suffiront pas à endiguer la crise de la presse. Sans abandonner ses bastions historiques, la critique devra donc apprendre à construire son avenir, en partie hors de ses supports traditionnels : dans les salles de cinéma pour présenter et partager ses choix avec le public, dans tous les dispositifs d’éducation à l’image qui permettront de former les spectateurs de demain, et aussi sur Internet et sur les réseaux sociaux où il existe une vraie demande de recommandation et de pédagogie autour des films. Certes, tous ces mouvements sont déjà entamés et le SFCC y est résolument investi. Mais nous devrons accélérer le mouvement dans les mois, les années qui viennent. Comment tout cela s’organisera-t-il ? Sur quelles ressources financières ? Trop tôt pour le prévoir. Mais impossible d’ignorer que de la réussite de notre engagement sur de nouveaux fronts dépendra, sinon notre survie, du moins la possibilité de continuer à faire entendre notre voix, claire et forte.


Philippe Rouyer 
Philippe Rouyer