Profession critique

Pourquoi devient-on critique ?

Il paraît que c’est une profession pour laquelle nulle personne normalement constituée n’aurait de vocation. Étrange. Serais-je une exception ? Je ne crois pas. J’ai tellement rêvé enfant de ce métier que je m’étais même interdit de penser pouvoir le pratiquer un jour. Juste pour ne pas avoir de regrets.

Il faut dire que mes parents m’aidaient beaucoup dans ce rejet. « Tu ne connais personne. Mais enfin aller voir des films est une distraction, pas une occupation d’homme adulte. Tu veux vraiment finir comme ces critiques méchants et persifleurs que tu écoutes avec une vénération douteuse au Masque et la Plume ? » Oser leur affirmer haut et fort que oui, que rien ne me ferait plus plaisir, devenait chaque jour plus compliqué.

Car en effet qui étais-je, moi petit parisien de souche habitant entre le quartier Montparnasse et la Pagode (avec à l’époque un arrêt encore possible au Studio Bertrand), pour envisager prendre ma place aux côtés de ces bretteurs que j’enviais, jalousais et vilipendais lorsque je n’étais pas d’accord avec eux ?

Tout était pourtant mis en place pour m’écarter à jamais de ce chemin où se perdent les mauvais garçons (et filles). Au lycée Victor Duruy, tout était fait pour vous envoyer sur les bancs de grandes écoles ou universités et nullement pour aller faire le zouave en encensant ou démontant des films dont personne n’avait entendu parler (autre argument récurrent de mes parents). Suivirent de sérieuses études de médecine qui occupèrent (pour rien) six ans de ma vie. C’est vrai que côté déni j’étais le champion. Puis vient (tardivement) l’âge de la prise de conscience et de la lucidité. Hippocrate ferait sans moi et praticien jamais ne serais.

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Le Destin de Youssef Chahine

Commence alors, une fois rentré de l’armée, une succession de petits boulots qui me rapprochent du monde du théâtre mais toujours à distance prudente du septième art. Jusqu’au jour où l’un de mes meilleurs amis qui venait d’intégrer la rédaction d’un mensuel naissant, Ciné-Live, me demande, non pas de les rejoindre (normal je n’avais rien écrit de publiable à l’époque), mais de rédiger la critique du nouveau film de Youssef Chahine : Le Destin. Pour le symbole on ne fait pas mieux ! Je m’entends répondre que je serais ravi de me plier à l’exercice tout en me maudissant intérieurement (sur le mode « Vice Versa ») de tant d’audace et d’inconscience puisque je ne sais même pas (alors que je viens de prétendre le contraire) ce qu’est un feuillet. Et qu’il me faudra en plus rédiger la critique en moins d’une nuit. Bonjour le baptême ! Je me console en me disant que ce sera tellement mauvais qu’au mieux ils la jetteront aux orties ou pire ils la réécriront et que l’on en restera là. Le papier fut pourtant accepté. Dans l’état. Aujourd’hui encore je n’ose le relire. Mais bon, à chacun ses casseroles. C’est ainsi que débute l’aventure. Timidement. On me confie la rubrique livres puis peu à peu le soin d’aller voir les films sur lesquels ne se ruent pas mes camarades. Des films russes, japonais, chinois et d’autres contrées hors de l’axe franco-américain qui me ravissent. Je rêvais de ce métier pour satisfaire mon immense appétit d’images et de nouveautés : c’est désormais chose faite. Mais en revanche je ne suis nullement repu.

MASQUEPLUME L'équipe du Masque et la Plume à l'occasion des 60 ans de l'émission

Vient un jour l’aventure de la télévision. Là encore presqu’un hasard. Casting, essais, re-essais et happy end puisque je suis retenu pour participer au Cercle qui débute sur Canal+. Un jour, en plateau, je hausse le ton face à Alain Riou qui à son tour riposte en me traitant de petit snobinard. Ce fut le début d’une amitié complice. Il suggère mon nom à Jérôme Garcin qui est en quête d’une nouvelle voix pour le Masque et la Plume. Je commence à avoir peur de me réveiller de ce rêve quasi parfait. Quasi, car je crois n’avoir jamais tant redouté d’aller à un enregistrement. L’heure où mon illégitimité (ma vieille compagne de route) allait-elle enfin sonner ? Ce fut pourtant à nouveau une belle rencontre. Et loin d’être la dernière.

Bouffer (je revendique cette image ogresque) de la pellicule depuis plus de quarante ans, dont une vingtaine d’années en tant que « professionnel » n’a nullement éteint ma soif de films. Faire ce métier ne réside pas dans le plaisir de dézinguer des œuvres (mises à part quelques exceptions, soyons honnêtes) mais au contraire dans les bonheurs à venir. Comme la promesse de tous ces films qui restent à découvrir. Méchant, comme le disent certains personnes ? Peut-être. Parfois, je le reconnais. Injuste ? Sans nul doute, cela fait partie du jeu. Mais gourmand, insatiable et curieux, plus que jamais. Le cinéma est une drogue dont il n’est pas question pour moi de me passer.

Xavier Leherpeur

Xavier Leherpeur

Crédit photo : Radio France / Christophe Abramowitz