Recherche critiques racisés désespérément

Introduction par Léo Soesanto

NY_Times_OpEd

Le titre de la tribune du New York Times, publiée le 5 juillet 2019, tape fort : « la dominance du critique mâle blanc ». Ses auteurs Elizabeth Méndez Berry et Chi-hui Yang, respectivement journaliste et programmateur, y faisaient le constat simple du manque aux États-Unis de critiques racisés — terme que notre correcteur automatique vient de modifier en “ravisés” mais qui traduit en français, dans un sens plus en accord avec ce qui va être écrit ici le terme anglais, à la fois neutre et précis de « non white ». La tribune part de la visibilité moindre des critiques racisé(e)s d’art contemporain pour aller vers l’exemple de la réception du film Green Book (2018) de Peter Farrelly, road movie où un chauffeur blanc rustaud convoie son employeur pianiste noir cultivé dans les États du Sud en 1962. Les auteurs soulignent le fossé entre le séduisant buzz du film entretenu dès sa première au Festival de Toronto (film antiraciste, candidat rêvé — puis confirmé et récipiendaire — pour l’Oscar du Meilleur Film) et les avis plus nuancés lors de sa sortie, de la part de critiques afro-américains y pointant le cliché du « sauveur blanc » paternaliste, inévitable lorsqu’il s’agit de défendre à l’écran (américain) le noir opprimé. Bonne conscience, bons sentiments en somme et déjà vu si on pense à des films aussi différents qu’Esprits Rebelles (1995, Michelle Pfeiffer prof se bat pour ses lycéens noirs et latino), Le Dernier Samouraï (2003, Tom Cruise se bat pour ses camarades samouraï) ou Avatar (2009, Sam Worthington se bat pour ses alliés indigènes bleus).

Méndez Berry et Yang résument ainsi leur propos : « L’exemple de Green Book montre comment une affection irréfléchie pour des histoires superficiellement bienveillantes peut en fait renforcer les hiérarchies raciales sur lesquelles ce pays est construit. Nous avons besoin d’auteurs pouvant voir et penser à partir de lieux de différence et qui sont prêts à avoir des avis impopulaires pour que les idées puissent évoluer ou mourir ». Comment lire ce credo de ce côté de l’Atlantique ? Aucune étude, à l’image de celle du Collectif 50/50 sur la place des femmes critiques de cinéma, mais un rapide coup d’œil à la télévision, dans les ours de publications ou dans les projections de presse, suffit à constater l’uniformité des profils et à reprendre ce titre sur « la dominance du critique mâle blanc ». Dans ce dossier, qui se poursuivra dans le prochain numéro de la Lettre, un échantillon de critiques membres du SFCC, racisés et donc parlant de leur « lieu de différence » (Nanako Tsukidate, F. Clémentine Dramani-Issifou, Mehdi OhmaÏs, Fairouz M'Silti et moi-même) donne ici ses opinions, très argumentées, sur ce spectre du critique mâle blanc et témoignent, de l’universel, du particulier, des clichés et des arrière-pensées ou de leur pratique. Où la diversité des expériences dessine des revendications et des nuances. À quoi pourrait bien servir un(e) critique de cinéma racisé(e) dans une profession menacée par la précarité et l’étouffement du geste critique par le diktat du discours professionnel ?

On pourra méditer sur leurs réponses, allant de la confession sincère spontanée à l’analyse universitaire, lors de la sortie, par exemple, du film Les Misérables de Ladj Ly. Il s’agit avant tout d’ouvrir la discussion et de ne pas simplement y plaquer l’exemple américain précité, où dominent des questions et problèmes communautaires officiellement absentes en France. Car pour citer les Shadoks qui l’ont eux-mêmes piqué à Marcel Duchamp, « il n’y pas de solution car il n’y a pas de problème ».  

Léo Soecento

Léo Soesanto

Crédit : Couverture photo New York Times
Tête de Femme de John Edmonds (2018)