« Si tous les meilleurs critiques français sont blancs, il n'y a pas de problème... »

Par Nanako Tsukidate

Nanako Tsukidate est critique de cinéma, journaliste, programmatrice de festival et membre du comité de sélection des courts métrages à la Semaine de la Critique.

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En France, en tant qu’étrangère, je me sens plutôt libre et je peux exister comme critique. Mais c'est à cause de la comparaison avec la situation de la critique de cinéma au Japon : elle est là-bas tellement misérable et je ne pense pas en fait qu'il y ait beaucoup de « critiques » dans ce pays. La plupart des gens qui écrivent des articles sule cinéma au Japon et pour les japonais sont très éloignés de l'idée qu'on a en France d'un critique. Pourquoi écrivent-ils ? Pour la promotion d’un film et à la demande des distributeurs, pas pour donner un point de vue. Il est impossible de lire des papiers négatifs au Japon. Hormis dans les blogs ou quelques revues indépendantes comme Nobody.

En France, je suis étrangère, mais je peux être spécialiste du cinéma français, surtout de Philippe Garrel. Parce que la France respecte les spécialistes et l’expertise. Au Japon, les spécialistes du cinéma sortent peu du milieu universitaire. Par exemple, il y a eu une conversation autour du cinéma des Frères Lumière avec Thierry Frémaux au Festival de Tokyo en 2017. Et qui en était le modérateur ? Un comique qui n'avait jamais vu les films des Lumière de sa vie, mais qui est très connu à la télévision japonaise. J'imagine que Thierry Frémaux a été très choqué par ce choix, mais c'est une réalité japonaise.

J'imagine que c'est compliqué d'être un(e) critique racialisé(e) en France, mais j’aime y discuter avec mes amis critiques. Par exemple, je ne pense pas que leurs avis sur le cinéma japonais soient influencés par l’orientalisme, ou une recherche d’exotisme dans les films (bien sûr, je sais qu'il y a beaucoup de critiques en France aussi qui cherchent tout cela, les kimonos, les sushis, etc…). Il y a beaucoup de choses que je peux partager avec eux, mais pas avec les journalistes japonais à Paris. Parce que les Français savent parler de mise en scène, et pas seulement de détails sociaux ou historiques. Leur discours sur le cinéma est toujours étayé par une grande connaissance du cinéma. Pour moi, que tous les meilleurs critiques français sont blancs, ne pose pas de problème s’ils comprennent le contexte historique d’un film, s’ils ont les connaissances sur le cinéma avec un point de vue différent et intelligent.

En cinéma, dans les films ou la critique, il y a un danger aujourd'hui à parler seulement de couleur de peau et de genre. C’est trop abstrait et symbolique pour déterminer un individu. D'abord, cela n'est pas très humain, ni respectueux. La couleur de peau et le genre sont innés et non acquis. En faisant le choix de privilégier une couleur ou un genre, il est possible de reproduire une discrimination. En bref, je veux dire que le plus dangereux, ce n’est pas de penser à ce que quelqu’un peut ressentir ou choisir, mais de le penser à travers ses aspects extérieurs — comme la couleur de peau et son sexe — pour garantir l’égalité d'une diversité superficielle.

Nanako

Nanako Tsukidate