KLEBER MENDONÇA FILHO

Cinéaste (Brésil)

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Ce sont les journaux qui m’ont fait tomber amoureux du cinéma. Puis la critique est venue confirmer cet amour. Quand j’étais gamin, dans les années 1970, le Diario de Pernambuco consacrait une page quotidienne aux films en salle à Recife. Chaque cinéma avait son logo et y annonçait sa programmation. Les annonces avaient une vraie qualité graphique, elles étaient en noir et blanc, accompagnées de dessins originaux adaptés à une impression très contrastée. Certaines petites informations faisaient toute l'originalité de chaque annonce, comme les mentions “en couleur”, “70 mm”, “Panavision”, “Cinemascope”, la classification, le nom des acteurs, les logos des studios (Fox, Columbia, Gaumont, Embrafilme, MGM, etc.), et parfois un petit texte publicitaire. Tant d’informations qui me donnaient envie de voir les films.

Et  puis, vers l’âge de sept ou huit ans, j’ai fait une découverte : je me suis rendu compte que la page suivante contenait des textes qui parlaient de films. En identifiant les photos, ou quelques mots et titres familiers, je pouvais deviner qu’ils évoquaient les films de la page précédente.

Au Diario de Pernambuco, c’était Fernando Spencer qui écrivait sur le cinéma. Au Jornal de Commercio, c’était Celso Marconi. J’ai alors appris qu’il existe deux types d’écriture différentes : l’une est purement descriptive, l’autre réagit au film, fait partager un sentiment, parfois négatif, souvent positif. Et cela m’a donné encore plus envie de voir les films.

L’étape suivante de mon apprentissage a été de pouvoir enfin, après avoir vu les films, confronter mes propres impressions avec ce qui était écrit dans les journaux. Parfois, j’allais voir un film et je me rendais compte ensuite qu’il parlait en fait des tout autre chose que ce je croyais avoir compris. Peut-être que les sous-titres étaient trop rapides… D’autres fois, j’étais content de constater que le film que j’avais vu était bien le même que celui qui était décrit dans le journal, en termes d’histoire et d’action. Il m’arrivait aussi d’être déçu : c’étaient mes premiers désaccords avec la critique. Je pense que j’avais du mal à comprendre le niveau d’autorité que conférait à ces textes le simple fait d’être publiés dans les journaux. Cela m’arrive encore aujourd'hui.

Puis, encore très jeune, j’ai été présenté à M. Spencer en personne, car il travaillait à la Fondation Joaquim Nabuco, où ma mère travaillait également. En lui serrant la main, j’ai eu la sensation de me rapprocher du cinéma, comme s’il était l’incarnation en chair et en os des films. Ce n’était plus des pages de textes dans un journal, mais un homme qui portait des lunettes et avait l’air gentil. J’avais rencontré un critique, un expert, une preuve vivante de l’existence du cinéma. Les nombreuses affiches et photos de films et l’odeur de cigarette dans son bureau me permettaient d’en être sûr.

Ensuite il est arrivé autre chose. J’ai découvert en lisant les journaux que M. Spencer et son sympathique rival M. Marconi réalisaient également des films et faisaient partie de ce qu’on appelait le “mouvement Super-8”. Ils étaient à la fois critiques et cinéastes.

Le temps a passé et, grâce à ces deux hommes, j’ai compris que le cinéma et la critique n’étaient pas des sciences exactes et que la perfection n’existe pas, que ce soit à l’écran ou dans les pages des journaux. L’encre de ces pages, d’ailleurs, noircissait mes doigts, et cela était considéré comme tout à fait “normal”.

Plus tard, suivant les pas de M. Marconi, je suis devenu critique au Jornal do Commercio, et, comme M. Spencer, j’ai été directeur de la section cinéma de la Fondation Joaquim Nabuco. J’ai ainsi pris conscience du caractère cyclique de la vie, et du fait que, si nous voyons chacun les choses différemment, nous sommes également tous influencés les uns par les autres. Le cinéma a ses propres fantômes, certains se trouvent sûrement à l’intérieur de la caméra ou juste à côté du cadre. Il y a des fantômes dans les supermarchés qui étaient jadis des cinémas. Et il y a des fantômes dans les pages des vieux journaux et magazines, grouillant d’idées qui reposent là et sont encore bien vivantes.


Kleber Mendonça Filho