STÉPHANE AUCLAIRE

Distributeur (UFO Distribution - France)

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Parmi les marches qu’un film doit grimper pour arriver jusqu’au public, il reste clair (quoi qu’on pense de l’importance croissante de l’opinion publique exprimée sur le web et les réseaux sociaux - plus perméable d’ailleurs aux purs enjeux de publicité et de promotion) que la critique reste, pour le cinéma d’auteur, la première qui légitime ou non le geste artistique, le premier vecteur de notoriété, avec un regard qu’on imagine objectif (ou plutôt : d’une subjectivité désintéressée), avec un effet de levier public certainement variable mais toujours présent.

Pour un distributeur qui a choisi, plus ou moins seul, d’accompagner un film pour sa commercialisation, la critique valide un choix qui ne se confronte pas seulement au “marché” - les exploitants, le nombre de spectateurs - mais aussi, de façon plus qualitative, au “goût des autres”. Mais quels “autres” ? Il ne nous est pas possible de synthétiser les goûts exprimés par tous les spectateurs, réseaux sociaux ou non, et ce serait sans doute même un peu vain. Alors les “autres”, ce sont peut-être plus sûrement les “familles de cinéma”, les sensibilités multiples représentées par les critiques du paysage médiatique français, assez variées pour que chacun puisse se reconnaître chez les unes ou les autres. À ce titre, on peut même penser que la critique permet parfois de faire des films “contre le marché”, de créer un mouvement de validation d’un film, d’un auteur, qui aux yeux du marché pourrait sembler suspect car trop éloigné des critères qu'il juge compatible avec le succès public. C’est même, dans notre quotidien de distributeurs, assez courant : les programmateurs de salle sont au plus près d’un public qu’ils connaissent au point parfois de penser en précéder les goûts, des goûts qu’ils vont donc chercher à reproduire dans leurs choix de films. Le critique sera plus proche de l’objet filmique lui-même, avec une lecture qui lui est propre, qui s’inscrit dans une histoire culturelle (ou contre-culturelle) qu’il a formée, qu’il s’est forgée, avec, on l’imagine, une hauteur de vue et un désintéressement que nos fonctions de commerçants, exploitants proches de leurs lieux et de leurs spectateurs, et distributeurs concentrés sur la façon de promouvoir les films, nous empêche peut-être d’avoir. C’est donc aussi l’espoir de séduire cette critique désintéressée qui nous invite à “faire des films”, en tout cas, à notre échelle, à nous engager sur son acquisition et sa promotion. Et à défaut de susciter un désir chez les spectateurs - bien des raisons peuvent le freiner : la concurrence d’autres films, la météo, un sujet compliqué, l’absence de comédiens identifiés etc. - la critique sera une référence vers laquelle on se tournera au moment d’envisager le financement ou l’acquisition du "film d’après", celui de l’équipe de réalisation ou de production, sur lequel on devinera la critique attentive à en parler de nouveau.

Stéphane Auclaire