XAVIER BEAUVOIS

Cinéaste (France)

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« Il faut d’abord se mettre d’accord sur le sens du mot critique. Parce qu’il n’y en a pas tant que ça. Il y a beaucoup de journalistes de cinéma qui se contentent de faire un synopsis et de dire “ce film-là était mieux que celui d’avant”. Ça, ce ne sont pas des critiques. Pour moi les critiques, c’étaient Jean Douchet et Serge Daney, c’est-à-dire des gens qui cultivaient “l’art d’aimer”. Le critique, selon moi, doit forcément être un historien. Il doit avoir une culture très étendue, dans tous les domaines. Car pour pouvoir parler de cinéma, il faut avoir des notions de littérature, d’opéra, de peinture… Il faut avoir un bagage un peu tous azimuts et surtout être curieux, comme l’étaient Douchet et Daney.

Avant de les rencontrer, je n’avais pas vraiment de vision de la critique ou du cinéma, parce que je n’avais pas d’argent. Donc soit j’allais boire un Coca au bar le mercredi avec mes amis, soit j’achetais un magazine, soit j’allais au cinéma, mais je ne pouvais pas faire les trois. Et quand j’allais au cinéma, ce qui guidait mes choix, c’était avant tout les photos de promo accrochées à l’entrée de la salle. Je ne savais pas qui était qui, il y avait juste la séduction de ça. Le cinéma pour moi, c’était un loisir, et surtout un moyen d’échapper à mon présent de l’époque.

Puis j’ai rencontré Jean Douchet, qui est venu faire une conférence à Calais, et il m’a ouvert toutes sortes de portes. J’ai compris que le cinéma était un art immense. Alors j’ai commencé à acheter des livres, à lire, et à essayer de me forger une espèce de morale du cinéma. Pour ça Daney et Douchet ont été mes professeurs particuliers. Par exemple, quand Daney m’a dit “il faut que tu fasses des plans, pas des images”, ça n’était pas une notion évidente à comprendre, mais c’était un conseil essentiel, fondateur.

Sans eux, je n’aurais rien fait.

Plus tard, j’ai réalisé Nord, mon premier film, qui a fait 20 000 entrées/France. À ce moment-là, s’il n’y avait pas eu la critique pour dire “attention les gars, là il y a peut-être un cinéaste”, et bien je n’existerais tout simplement pas : le film aurait disparu et ce serait fini.

Le succès critique – surtout pour un premier film – quoi qu’il se passe au niveau des entrées, c’est un passeport pour en faire un autre. Et dans ce sens-là, c’est capital.

Moi je le dis clairement : sans les critiques je ne serais pas là. 

Grâce à la critique, quand on rencontre les producteurs, on est précédé par une aura, qu’elle soit grande ou petite, et évidemment ça a un impact. Quand Caroline Champetier a vu Nord, elle est venue me demander, via Douchet, pourquoi elle n’en avait pas fait la lumière. Ensuite, elle m’a présenté à Pascal Caucheteux, et je sentais bien que, étant à l’affut de jeunes cinéastes, il était intéressé. Parce que les producteurs lisent les critiques. Et ils aiment bien fouiller dans les petits films, se dire : tiens, lui ça a l’air intéressant…

Plus tard, les critiques peuvent aussi être vos alliés contre le producteur. Par exemple, ça a été le cas pour moi sur La Rançon de la gloire. Sachant que le film raconte l’histoire de deux mecs qui volent un cercueil, puis qui le réenterrent, pour moi il était impossible d’éluder le fait que creuser c’est long, c’est chiant, c’est fatigant, c’est dur, c’est stressant... Il fallait le montrer et ça ne pouvait pas se faire en deux secondes. Mais j’ai vraiment dû me battre et argumenter avec mon producteur pour garder ce que je voulais. Alors quand ensuite je lis un article dans Le Monde qui dit “enfin on ose filmer le temps que ça prend”, et qui déroule les mêmes arguments que ceux que j’avais défendus, je peux retourner voir le producteur et lui dire : “Tu vois !”

Ça c’est pas mal.

Maintenant c’est compliqué parce que tout le monde est critique. Et du coup la critique sur les films commence parfois dès le moment du casting. Les gens disent : “quoi, vous n’allez tout de même pas prendre une fille pour jouer un transsexuel ?” Ou : “quoi, vous avez-vu le casting d’Astérix ?” Mais j’ai envie de leur dire : attendez, le film n’est même pas encore tourné, donc détendez-vous !

Et puis l’arrivée des plateformes m’inquiète, forcément. Godard disait : quand vous regardez un film à la télévision vous ne regardez pas un film mais une reproduction. C’est comme voir les grands Nymphéas de Monet sur un timbre-poste. Moi, je tourne en Scope, je ne pense que grand écran. On fait un étalonnage pointu de chaque plan. Au mixage, chaque seconde est pensée. Si c’est pour finir sur un i-Pad, c’est quand même très triste... Et puis finalement, si vous vous faites livrer vos repas par Uber, si vous vous faites livrer des livres par Amazon et si vous vous faites livrer des films par Netflix, à un moment donné où est la différence entre votre vie et celle du type qui est à Fleury-Mérogis ? Moi j’ai toujours le même plaisir quand j’entre dans une salle de cinéma. J’aime les sièges rouges… Je pense qu’un croyant doit toujours avoir une petite émotion en pénétrant dans une église, quel que soit son âge.

Dans un contexte comme celui-là, la critique, bien sûr, a plus que jamais un rôle à jouer. »


Propos recueillis par Nicolas Marcadé

© Photo Xavier Beauvois : Christine Tamalet / Mars Films