REBECCA ZLOTOWSKI

Cinéaste (France) 

If you wish to read this article in english, please follow this link.

« Je crois à la critique pour m’aider à m’améliorer. Ça n’est pas de la démagogie : j’y crois vraiment. Ça arrive, même si ça n’arrive pas souvent. Je n’ai pas envie de considérer la critique comme un horoscope en qui je croirais quand elle aime mes films et ne croirais pas quand elle les déteste. Je me fiche de savoir si le critique aime ou n’aime pas, s’il est touché ou non : ce qui m’intéresse c’est qu’on ouvre le capot et qu’on m’explique mon film, qu’on m’explique de l’extérieur ce que j’ai fabriqué, qu’on mette un autre cerveau - plus aguerri parce qu’il voit plus de films - au service du mien. Pour moi le travail de la critique est de comprendre le projet du film et d’évaluer s’il arrive à l’accomplir ou pas, et pour quelles raisons. J’attends de la critique ce dialogue.

Après quatre films et une série je sens qu’il y a des fidélités de critiques, des fidélités dans l’intérêt que mon travail peut susciter, tout en sachant - et c’est plutôt sain – qu’à chaque film ce sera requestionné. Certains peuvent beaucoup aimer l’un de mes films, en détester un autre. Je me souviens d’un critique qui avait écrit sur Grand Central un papier très violent, mais qui était juste. Quand j’ai lu ce texte - six mois après, car sur le moment c’était trop violent, avec des pointes de méchanceté - ça m’a éclairée. Par la suite ce critique a adoré Planetarium. On s’est vu à ce moment-là, on a reparlé de ce texte sur Grand Central et il m’a dit que c’est ce qui lui avait permis d’être embauché par son journal, parce qu’ils avaient trouvé cette critique à la fois méchante, drôle, acerbe, courageuse (car le film était globalement plutôt aimé). Il en avait sans doute rajouté par besoin de frapper un grand coup. Dommage. Ça c’est une vulnérabilité de votre métier : de temps en temps on sent qu’il faut que ça passe sans nuances, parce que c’est ça qui va créer un buzz, qui va vous donner un peu de place sur votre propre échiquier. Quand elle fait ça uniquement, la critique ne s’adresse finalement qu’à la critique. Or ce n’est pas la chose la plus constructive qu’elle puisse faire…

Dans la critique, on peut distinguer trois pôles. Il y a celle qui s’adresse aux spectateurs avec un objectif de prescription. Celle-là, à mon avis, est en train de disparaître dans la mesure où, aujourd’hui, ce sont les spectateurs eux-mêmes qui jouent ce rôle prescripteur auprès des autres spectateurs. Ensuite, il y a la critique qui s’adresse à la fois aux spectateurs et aux cinéastes. Pour moi c’est la plus intéressante, celle qui arrive conjointement à créer un lien imaginaire avec le cinéaste et à guider le spectateur. Enfin il y a une critique qui ne s’adresse qu’aux critiques, qui est celle qui crée une rupture avec les spectateurs et les auteurs. Parce que cette approche-là modélise les goûts des critiques. Elle les rend moins libres. Or, la seule chose qui mérite d’être poursuivie c’est la liberté. Que l’on soit cinéaste ou critique, il faut avant tout trouver les moyens qui nous ouvrent la liberté de fabriquer, de parler, de créer, de contredire, d’être contredit, de s’exprimer.

Entre cinéastes, on parle peu de la critique. Par pudeur, je pense. Parce qu’il y a quelque chose d’humiliant à s’en plaindre. Après, je vois bien qu’il y a un problème avec la profession, qu’elle se précarise avec l’arrivée des réseaux sociaux, qu’elle a perdu sa portée prescriptrice. Parce que même quand on a la presse entière avec soi, il arrive souvent que les films, pourtant, ne marchent pas : qu’est-ce que ça signifie ? Parfois il y a une certaine presse qui peut tenir à distance un certain public. On voit bien sur les réseaux sociaux que quand la presse est unanime, il y a un effet d’agacement, presque une inimitié, qui se développe, avec en toile de fond un certain anti-intellectualisme, l’idée de l’entre-soi, etc. Donc j’ai l’impression que, critiques et cinéastes, on est solidaires dans le fait de faire face à une sorte de détestation de la pensée. Et c’est aussi pour ça qu’il faut faire très attention les uns aux autres. »

Propos recueillis par Chloé Rolland